Nombreuses petites, moyennes et mêmes grandes entreprises font appel aux services de transporteurs terrestres (routier et ferroviaire), aériens ou maritimes pour leurs besoins commerciaux de livraison de colis ou de documents. Ces transporteurs sont des partenaires d’affaires importants pour les opérations quotidiennes des entreprises québécoises. Inévitablement, le volume et la nature des opérations de ces transporteurs supposent un risque de perte ou de dommage à la marchandise transportée ce qui souvent a des conséquences fâcheuses pour l’expéditeur. Dans ces cas, le transporteur est-il responsable et à quel montant peut-il être tenu ?
De façon générale, ces transporteurs sont présumés responsables en cas de pertes, dommages ou détérioration du bien transporté. En effet, lorsque c’est le Code civil qui régit le contrat de transport, le transporteur est « tenu de réparer le préjudice résultant du transport »1. Il ne sera libéré de son obligation que s’il prouve qu’une force majeure est survenue, une freinte normale ou un vice propre à la chose transportée. Le présent texte ne vise pas à répertorier les cas d’espèce qui ont, à travers la jurisprudence, permis au transporteur de s’exonérer de sa responsabilité.
Il est davantage intéressant d’observer que lorsque sa responsabilité est engagée, le transporteur sera tenu d’indemniser l’expéditeur pour la perte ou le dommage subi. Cependant, ce principe est tempéré de façon importante lorsque le transporteur insère, dans le contrat de transport, une clause limitant sa responsabilité en cas de perte, couramment appelée « clause limitative de responsabilité ».
Ces clauses, très fréquemment insérées dans les contrats de transport, sont celles par lesquelles le transporteur indique à l’expéditeur que, lorsque sa responsabilité est retenue, elle ne saurait être engagée au-delà d’une certaine somme. À titre d’exemple, notons une clause qui se lierait comme suit :
« Il est convenu que la responsabilité du transporteur est limitée à 40 $ par colis lorsque ce colis est de 24,99 kilogrammes ou moins et à 100 $ lorsque le colis est de 25 kilogrammes ou plus. »
De telles stipulations ont été maintes fois reconnues comme étant commercialement raisonnables, notamment pas la Cour suprême du Canada2. Toutefois, si l’inexécution du contrat de transport résulte d’une faute qualifiée de lourde ou encore d’une faute intentionnelle de la part du transporteur, de telles clauses pourront être écartées.
La notion de faute intentionnelle parle d’elle-même, mais qu’est-ce qu’une faute lourde par opposition à une faute légère ou moyenne en matière de transport ? La ligne de démarcation entre ces notions demeure floue, mais la jurisprudence a maintes fois répété, reprenant une citation des auteurs en droit, que la faute lourde est une « faute qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière » (art. 1474 C.c.Q.) et donc un total mépris des intérêts d’autrui. C’est une tentative plus ou moins heureuse de codifier le concept jurisprudentiel de faute lourde, qui continue donc de s’appliquer aujourd’hui. Pour être plus précis, on peut dire que, sans être malicieuse, une telle faute ne serait pas commise « même par la personne la moins soigneuse »3. Il s’agit donc d’un comportement « anormalement déficient »4.
Chaque cas est un cas d’espèce, il faudra donc, pour l’expéditeur lésé de prouver la grossièreté de la faute commise par le transporteur, ce qui n’est pas une mince affaire ! Récemment, la Cour supérieure, sous la plume de madame la juge Marie-France Courville, a répertorié quelques cas intéressants en matière de transport de marchandises :
[31] Les tribunaux ont retenu l’existence d’une faute lourde en présence d’une preuve établissant une insouciance extrême, une négligence grossière et l’absence totale de considération pour les intérêts d’autrui :- Le manque de prudence d’un camionneur qui met en péril la sécurité des autres usagers de la route par un comportement dangereux; Royal & SunAlliance du Canada, société d’assurances c. Transport Quik-X inc.[6];
- Le non-respect de directives claires interdisant d’empiler des palettes, alors que cela représente un risque pour la sécurité d’autrui et l’intégrité des matériaux; Sandoz Canada inc. Immeubles RB ltée[7].
- La perte de marchandise constitue une faute, mais pas une faute lourde; Courrier Purolator Ltée v. La Commission scolaire de Quévillon[8]:
- La livraison tardive d’une enveloppe contenant un chèque certifié au montant de 112 000 $, constitue une négligence, mais pas une faute lourde; Purolator Courrier Ltée v. Bertrand Beaupré Tabaconiste Ltée[9];
- La perte inexpliquée de marchandise, en l’espèce un moule pour la production de casques de sécurité, ne constitue pas une faute lourde; Transports Speribel inc. v. Les Plastiques Rawdon B.C. inc.[10]:
- L’erreur d’une banque lors d’un transfert de fonds étrangers ne constitue pas une faute lourde parce que la demanderesse n’a pas agi avec diligence et n’a pas avisé la banque que l’argent devait être transféré à une date précise; 2968-8629 Québec inc. (Optique express) v. Banque Canadienne Impériale de Commerce[11] 5.
Comme nous pouvons le constater, le transporteur pourra donc théoriquement limiter sa responsabilité à 1 $ en cas d’erreur de jugement, de négligence simple, de perte inexpliquée d’un bien, etc. Les entreprises utilisant les services de messagerie ou d’expédition pour des colis sensibles auront donc intérêt à utiliser un service de transport adapté à leurs besoins ou à contracter une assurance.
1 Article 2049, C.c.Q. Attention toutefois aux nombreux règlements en matière de transport.
2 London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 RCS 299
3 J.-L. BAUDOUIN, Les obligations, Pierre-Gabriel JOBIN, Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 1075-1076
4 Empire Cold Storage Co. Ltd. c. Cie de Volailles Maxi, 1995 QCCA 4828
5 Distribution de produits Vican Canada inc. c. Federal Express Canada Ltd., 2017 QCCS 717