La première moitié de l’année 2018 a vu les tribunaux prendre une nouvelle tangente fort intéressante dans le domaine des injonctions.
En effet, la Cour suprême du Canada[1] a réformé le traditionnel critère initial de l’ « apparence de droit » que doit démontrer la demanderesse depuis l’arrêt phare RJR-MacDonald[2] pour l’émission d’une injonction interlocutoire de type mandatoire.
Dans le domaine municipal, les municipalités sont souvent confrontées à des situations dérogatoires sur leur territoire qui nécessitent une intervention rapide pour assurer l’application de leur réglementation. Le recours à l’injonction de type provisoire ou interlocutoire s’avère un moyen efficace de faire cesser des activités illicites alors que le débat au fond peut s’échelonner sur une longue période où, sans cette intervention musclée, les normes municipales seraient suspendues créant deux régimes pour les citoyens d’un même territoire.
Dans la réflexion que doit avoir une municipalité avant d’intenter un tel recours interlocutoire, les tribunaux viennent de tracer et définir les critères permettant au tribunal d’octroyer ou non le remède recherché. La connaissance de ces nouvelles règles du jeu permettra aux municipalités d’évaluer si le recours leur est ouvert.
La Cour suprême dans R. c. Société Radio-Canada conclut que le critère de la « question sérieuse à juger » n’est plus approprié devant une demande d’injonction interloculaire mandatoire, soit une procédure qui « intime au défendeur de faire quelque chose – comme de rétablir le statu quo -, ou d’autrement « restaurer la situation » »[3]. En définitive, sera mandatoire, l’injonction qui ordonne à une personne de poser un geste.
Rappelons d’abord que l’injonction sous-jacente au débat devant le plus haut tribunal du pays était une demande du ministère public visant à faire cesser la diffusion, par Radio-Canada, de renseignements établissant l’identité d’une victime d’un meurtre.
La Cour suprême mentionne qu’un juge saisi d’une injonction interlocutoire mandatoire doit dès lors procéder à un « examen approfondi » du fond du dossier[4] et se convaincre que la demanderesse a établi « une forte apparence de droit ». Procédant à définir cette notion, la Cour conclut :
Toutes ces formulations ont en commun d’imposer au demandeur le fardeau de présenter une preuve telle qu’il serait très susceptible d’obtenir gain de cause au procès. Cela signifie que, lors de l’examen préliminaire de la preuve, le juge de première instance doit être convaincu qu’il y a une forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, le demandeur réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance. (par. 17)
Nous sommes d’avis que la qualification mandatoire se retrouve également lorsqu’une municipalité requiert d’un défendeur la cessation d’un comportement dérogatoire à la réglementation municipale tel un usage non conforme à la réglementation, une construction illégalement implantée, le non-respect de normes de bruit, etc. Les tribunaux québécois appliquent déjà ce nouvel enseignement dans des matières municipales[5].
Conséquemment, une municipalité devra donc, dès ce stade, démontrer de la clarté de ses normes et de la violation certaine de la réglementation face au cas d’espèce afin de « démontrer une forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, [elle] réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance »[6].
[1] R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5
[2] [1994] 1 R.C.S. 311
[3] R. c. Société Radio-Canada, supra note 1, par. 15
[4] R. c. Société Radio-Canada, supra note 1, par.15 in fine
[5] Voir notamment, Ville de Montréal c. Placements Lev Ltée, 2018 QCCS 3338 et Ville de Westmount c. KPH Turcot, 2018 QCCS 2080, Ville de Plessisville c. Municipalité de la paroisse de Plessisville, 2018 QCCS 3331
[6] R. c. Société Radio-Canada, supra note 1, par. 18