Le 15 mars 2016, la Cour supérieure du Québec, sous la plume de l’Honorable Jacques G. Bouchard, rendait un jugement d’intérêt<1> mettant en évidence, encore une fois, l’exercice périlleux auquel doit se soumettre toute institution financière lorsqu’elle rappelle un prêt ou opère compensation d’un compte puisqu’elle craint pour le recouvrement de sa créance face à un débiteur dont la solvabilité est douteuse.
Les faits dans ce dossier sont les suivants. « La relation d’affaires entre les parties a débuté en 2001, alors que la débitrice en est encore à ses premiers balbutiements. Fondée au cours de l’année 2000, cette compagnie entend fabriquer et commercialiser un broyeur mécanique destiné à la réalisation de travaux sylvicoles. Toutefois, la crise sévissant au Québec dans l’industrie forestière au milieu de la décennie amène la débitrice à adapter son produit au secteur plus prometteur que représente alors l’exploration pétrolière. Ainsi, la phase de commercialisation des broyeurs débute vers les années 2006-2007.
En décembre 2006, la débitrice accepte les termes de l’offre de financement de l’institution financière, laquelle sera amendée plus tard à la satisfaction de tous, quant aux ratios à respecter pour obtenir des avances sur le crédit d’exploitation. En outre, l’institution financière accepte d’augmenter la marge de crédit de sa cliente de 250 000 $ à 500 000 $, au tout début de l’année 2007 »<2>.
À la même époque, la débitrice demande à ce que sa marge de crédit soit temporairement augmentée à 1 000 000 $ afin de compléter trois commandes qu’elle a obtenu totalisant la somme de 1 849 500 $. L’augmentation de la marge à 1 000 000 $ devait entrer en vigueur seulement le temps qu’elle complète les trois commandes susmentionnées.
L’employé de l’institution financière qui pilotait le dossier jusqu’alors, qualifie le risque de « plus prévisible et acceptable », et demande à I.Q. (Investissement Québec) d’augmenter sa garantie à 75 % des sommes avancées par l’institution financière<3> ». Or, durant le processus de financement additionnel, cette personne contact quittera ses fonctions et sera remplacée par un autre employé qui lui, juge le prêt risqué et lui attribue une note négative. La demande de financement additionnelle ne sera donc pas accordée.
Dans les circonstances et comme la débitrice manque de liquidités pour compléter ses contrats, cette dernière proposa à l’institution financière, qui accepta, de procéder à l’affacturage d’un compte dû par un client de l’entreprise.
Finalement, l’affacturage n’aura pas lieu puisqu’après des négociations avec la débitrice, le client de cette dernière versera « la somme convenue de 231 097,59 $ par un dépôt direct au compte de la débitrice »<4>. Dès le lendemain et sans préavis, l’institution financière procédera au virement manuel du montant susmentionné afin de réduire la marge de crédit d’autant et éventuellement procéder à la fermeture de tous les comptes de la débitrice quelques mois plus tard.
La débitrice poursuivra alors l’institution financière afin d’être dédommagée des pertes qu’elle allègue avoir subies par manque de « liquidités vitales pour compléter les commandes en cours de réalisation »<5>.
L’institution financière, quant à elle, plaide que son offre de financement comporte noir sur blanc un droit de rappeler en tout temps les avances consenties. De plus, cette même offre de financement, dûment signée par les représentants de la débitrice, prévoit que le fait pour l’institution financière « de ne pas exercer ses droits en cas de défaut de la débitrice ne constitue pas une renonciation à ce faire »<6>. En somme, nous sommes face à une décision d’affaire prise conformément aux dispositions contractuelles. Il est de plus incontestable que l’institution financière a toléré de nombreux défauts, notamment au niveau des ratios comptables qui n’étaient pas rencontrés par la débitrice.
Malgré les manquements contractuels de la débitrice et sa situation financière difficile, le Tribunal conclut que les principes élaborés par la Cour suprême du Canada dans Houle c. Banque canadienne nationale<7> n’ont pas été respectés. La Cour retient particulièrement que « le dossier a été traité de façon fort différente par deux représentants de l’institution financière, à une période concomitante, à partir de données financières similaires »<8>. Bien que la renonciation à un droit ne se présume pas, les agissements antérieurs de l’institution financière militent, selon le Tribunal, en faveur d’une renonciation à invoquer les dispositions de l’offre de financement, notamment quant aux ratios comptables exigés<9>.
Le Tribunal condamnera l’institution financière à payer la somme de 250 800 $ pour les pertes subies par la débitrice. Cette somme représente les pertes mensuelles calculées sur une période de douze mois<10>.
Il ressort de ce jugement que les tribunaux pourraient être enclins à qualifier de «déraisonnable » la décision prise par une institution financière de rappeler un prêt lorsqu’elle avait précédemment toléré la situation. Effectivement, le fait que l’institution financière ait ici changé la qualification du risque, et ce, sur la base de la même information financière semble avoir grandement influencé la décision de la Cour supérieure du Québec alors qu’il est incontestable que l’offre de financement le permettait et que la situation financière de la débitrice était peu reluisante. Il ressort aussi clairement de ce jugement que toute institution financière doit faire preuve d’une grande cohérence dans sa gestion du risque que représente un client, surtout lorsque le dossier passe entre plusieurs mains.
Ce jugement fait l’objet d’une déclaration d’appel déposée par l’institution financière.
<1> 2016 QCCS 1494.
<2> Idem, paras. 2 et 3.
<3> Idem, para. 6.
<4> Idem, para. 10.
<5> Idem, para. 11.
<6> Idem, para. 13.
<7> [1990] 3 R.C.S. 122.
<8> 2016 QCCS 1494, para. 27.
<9> Idem, para. 30.
<10> Idem, para. 44.