Par Me Émilie Corriveau, avocate, et Marie-Ève Boudreault, stagiaire en droit
À l’heure actuelle, les municipalités et le gouvernement sont régis par le régime d’expropriation instauré en 1973 par la Loi sur l’expropriation (ci-après la « Loi »), Loi qui n’a fait l’objet d’aucune réforme majeure depuis 19831.
Cependant, le 25 mai dernier, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a présenté à l’Assemblée nationale le Projet de loi 22 – Loi concernant l’expropriant (ci-après le « Projet »), ayant pour but de remplacer la Loi et d’établir un tout nouveau régime d’expropriation longuement attendu et demandé par les municipalités depuis plusieurs années.
Bien que le Projet ne soit passé que par la première étape du cheminement d’un projet de loi, c’est-à-dire la présentation devant l’Assemblée, il va sans dire que son adoption, dans sa forme actuelle, représenterait une réelle refonte et viendrait modifier la façon dont les municipalités procèderaient à l’exercice du droit à exproprier, notamment à ce qui se rapporte à l’indemnité et à la procédure d’expropriation.
À cet effet, à quoi doivent s’attendre les municipalités sous ce nouveau cadre?
Afin de répondre à cette question, nous avons procédé à une analyse comparative du Projet et de la Loi dans le but de faire ressortir certaines différences importantes entre les deux régimes dont nous vous offrons ici un survol.
Principales modifications
D’une part, nous ne pouvons certainement pas passer sous silence le changement majeur qui a fait couler beaucoup d’encre depuis le 25 mai dernier, soit la détermination de l’indemnité à payer à l’exproprié.
Cette dernière demeure constituée d’une indemnité principale (c’est-à-dire l’indemnité immobilière) et d’une indemnité accessoire (c’est-à-dire les troubles, ennuis et inconvénients, la réparation des préjudices et la perte de valeur de convenance). Tout comme maintenant, l’indemnité est fondée selon « l’usage le meilleur et le plus profitable » (l’« UMEPP »), c’est-à-dire un usage qui est à la fois réalisable et permis selon la Loi. Le Projet apporte toutefois une précision importante : il faut également que cet usage soit, non plus uniquement possible, mais probable de se concrétiser dans un horizon de trois (3) ans suivant la date de l’expropriation.
En outre, alors que jusqu’à présent l’indemnité principale était fixée en fonction de la valeur au propriétaire, l’indemnité principale se fonderait maintenant sur la valeur marchande objective du bien exproprié. Pour les fins du calcul de l’indemnité, le Projet définit la valeur marchande comme le prix de vente établi à la date de l’expropriation, soit la date de signification de l’avis d’expropriation au propriétaire du bien.
Le Projet prévoit qu’en plus de la valeur marchande, s’ajoute à l’indemnité principale une indemnité devant être déterminée selon une « approche d’indemnisation » en fonction de la situation du bien exproprié. Par défaut, il faut appliquer l’approche dite de la réinstallation et, en cas d’impossibilité, l’approche accordant la moindre des indemnités parmi les suivantes : l’approche basée sur le coût d’acquisition, sur le réaménagement, sur le déplacement d’une construction, sur la cessation de l’exploitation d’une entreprise ou sur le déménagement.
D’autre part, le Projet vient également proposer de nouveaux délais et une procédure allégée, notamment à ce qui se rapporte à la procédure de transfert du droit exproprié. De plus, la procédure en contestation du droit à l’expropriation, devant la Cour supérieure, n’opérera plus sursis de la procédure en expropriation, à moins que la Cour supérieure, sur demande de l’exproprié, n’en décide autrement.
Le Projet prévoit également que le recours en expropriation déguisée se prescrit maintenant trois (3) ans après la date de l’entrée en vigueur de l’acte municipal.
La suite
Comme mentionné, le Projet n’est encore qu’à la première étape de la présentation à l’Assemblée nationale. À l’issue de cette présentation et en considération des enjeux importants découlant de la nature même du Projet, ce dernier a été envoyé à une commission parlementaire afin de procéder à des consultations spéciales, par ailleurs prévues pour le mois de septembre prochain, et qui seront tenues afin de connaître l’opinion et les besoins des parties prenantes touchées. Par la suite, le Projet devra passer par plusieurs étapes, durant lesquelles le texte du Projet pourrait également être visé par des modifications, avant de pouvoir être finalement adopté et sanctionné.
Il faut également savoir que le texte même du Projet prévoit que la nouvelle Loi, intitulée Loi concernant l’expropriation, n’entrera en vigueur que six (6) mois après la date de sa sanction. Ainsi, il va sans dire que les municipalités devront encore faire preuve de patience avant de pouvoir appliquer le nouveau régime d’expropriation.
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[1] https://www.newswire.ca/fr/news-releases/projet-de-loi-concernant-l-expropriation-promesse-tenue-le-gouvernement-depose-une-reforme-en-matiere-d-expropriation-867309237.html