Nous sommes probablement tous d’avis qu’après la longue et difficile pandémie que nous subissons que le monde des affaires ne sera plus le même, notamment en ce qui concerne le financement des entreprises. Dans ce contexte, il y a lieu de se poser la question si le modèle actuel de financement d’entreprises est adéquat après la COVID-19 et plus particulièrement au Québec. Un des indicateurs clés qui captent l’état des marchés financiers est le nombre d’introductions en Bourse.
Une introduction en Bourse est une étape clé du développement d’une entreprise qui permet l’accès à des capitaux d’investissement dans le futur, d’améliorer ses structures organisationnelle et opérationnelle, de recruter de hauts cadres et de mettre en place des régimes d’options d’achat d’actions comme système de rémunération. L’entreprise publique deviendra plus crédible auprès des fournisseurs, des clients et des créanciers. Une introduction en Bourse offre également la possibilité de sortie aux bailleurs de fonds privés, notamment aux sociétés de capital de risque et d’investissement. En ce sens, la disponibilité d’un mécanisme de sortie liquide et profitable, et par conséquent d’un marché dynamique d’introductions en Bourse devrait être la préoccupation première des sociétés de capital de risque et d’investissement.
Or, si on jette un coup d’œil sur les statistiques canadiennes, nous constatons que le nombre de sociétés québécoises inscrites à la cote des deux principales bourses de valeurs mobilières du Groupe TMX (soit la Bourse de Toronto (la « TSX »), principale bourse canadienne, et la Bourse de croissance TSX (la « TSX de croissance »), qui s’adresse plutôt aux entreprises à faible capitalisation)) représente 7 % de toutes les inscriptions canadiennes. Ce pourcentage est de 40 % pour l’Ontario, 30 % pour la Colombie-Britannique et 10 % pour l’Alberta (sources : MIG Reports du Groupe TMX Avril 2020). Sachant que l’économie québécoise compte pour environ 20 % de l’économie canadienne, il est clair que le nombre d’introductions en Bourse d’entreprises québécoises est relativement médiocre, et ce, depuis plusieurs années. Il y a lieu ainsi de se poser plusieurs questions, notamment sur l’état de la situation après la crise de la COVID-19. Pourquoi peu d’entreprises québécoises s’introduisent-elles en Bourse ? Le marché financier est-il vraiment une avenue viable pour la croissance des jeunes entreprises québécoises ? Comment peut-on dynamiser le marché des introductions en Bourse au Québec ? Est-ce une perception de la part des entrepreneurs ou une réalité que les coûts d’une introduction en Bourse dépassent les avantages ? Les prises de contrôle inversées et les placements privés sont-ils des meilleures alternatives aux introductions en Bourse ?
Une étude récente du Groupe de travail sur le déficit d’inscriptions en Bourse des sociétés québécoises a déjà conclu que l’écosystème du financement public québécois devrait changer, surtout après le déménagement vers Toronto de presque la totalité des directions des départements des maisons de courtage canadiennes, de financement corporatif (investment banking).
La situation devient extrêmement urgente surtout durant cette crise de la COVID-19, où plusieurs entreprises ont besoin de financement pour leurs survies et le respect de leurs engagements. Le changement doit se faire aujourd’hui et non demain. Une des recommandations possibles dans ce contexte est d’accorder des crédits d’impôt aux investisseurs dans une formule plus souple que l’ancien programme Régime d’épargne-actions (RÉA). Il faut encourager les investisseurs québécois à avoir confiance dans l’économie québécoise et de les faire participer à l’échiquier économique. Pour les entreprises, le processus d’un premier appel public à l’épargne ne doit pas être considéré comme un processus couteux, mais plutôt comme une étape importante pour leurs croissances et leurs développements. Plusieurs entreprises québécoises telles que Jean Coutu, CGI, Alimentation Couche-Tard, Métro, Québecor, ont profité du financement public pour bien croître. Ces expériences doivent se renouveler avec un allégement du processus d’introduction en Bourse et possiblement accorder des incitatifs aux entreprises qui veulent s’introduire en Bourse.
Il est important de se rappeler que les bases du financement restent solides au Québec avec un secteur de capital de risque et de placements privés très actif. Le capital de risque à lui tout seul ne peut toutefois répondre à tous les besoins de l’économie québécoise et surtout pas en période de crise. C’est au financement public qui doit répondre à l’appel de financement et rattraper un retard qui date depuis la restructuration des places boursières canadiennes et le transfert du marché des actions de la Bourse de Montréal en 1999. Plus encore, un marché dynamique pour d’émissions initiales reste une condition essentielle au développement d’une industrie du capital de risque.
Qu’en est-il de la situation des introductions en Bourse dans le monde ?
Avant la pandémie et selon un récent rapport de EY le marché mondial des introductions en Bourse a été actif au premier trimestre de 2020. Au total, 235 entreprises nouvellement introduites en Bourse. 68 % de ces introductions en Bourse mondiale ont eu lieu en Asie. Aux États-Unis, le nombre d’introductions en Bourse au premier trimestre de 2020 a été relativement similaire à celui de 2019 (24 transactions) alors qu’en Europe, le nombre d’introductions en Bourse est passé de 24 à 18.
Après la pandémie, les marchés asiatiques des introductions en Bourse étaient remarquablement indifférents alors que l’activité dans les pays occidentaux a largement stagné au cours du mois de mars avec une seule introduction en Bourse enregistrée dans la seconde moitié du mois de mars. La Chine demeure ainsi le marché d’introduction en Bourse le plus actif au monde au cours du premier trimestre de 2020, et ce malgré la forte propagation du virus et les restrictions importantes suivies par la population. La plus grande introduction en Bourse est celle de l’entreprise chinoise de trains à grande vitesse Beijing-Shanghai High Speed Railway, qui a levé 4,4 milliards de dollars en janvier 2020. Un récent article du New York Times (17 juin 2020) intitulé “ The Tech I.P.O. Comes Roaring Back in The Pandemic” note le retour également des introductions en Bourse post-COVID aux États-Unis.
N’y a-t-il pas ici des leçons à retenir !
Même si le Québec supporte bien ses entreprises grâce au capital de risque, il y a lieu d’encourager davantage les introductions en Bourse. En période de mutation (post-COVID-19), un appel urgent aux financements publics permettra d’aider plusieurs jeunes entrepreneurs et aussi le développement et la croissance de plusieurs futurs fleurons. Dynamiser les introductions en Bourse au Québec ne peut être que bénéfique pour la relance de l’économie notre province. C’est ainsi que l’on bâtira nos futurs champions.
Il s’agit dans ce contexte de rebâtir un écosystème d’une économie performante. Celui-ci devra être en accord avec le nouveau contexte mondial de nos sociétés. Les seuls incitatifs fiscaux de type régime d’épargne-actions (RÉA) ne suffiront probablement pas. On devrait aussi tenir compte et examiner les méthodes alternatives d’inscriptions et leurs règlementations, l’internationalisation des bourses, dont les inscriptions croissantes des entreprises locales à l’étranger, la règlementation et le coût d’une inscription en Bourse et du maintien de celles-ci, la croissance des intermédiaires de marché tels les fonds négociés en Bourse (FNB) et le rôle des sociétés de capital de risque et de croissance. Finalement, il faut accorder une attention particulière à la formation de nos professionnels, conseillers et aviseurs financiers.
Cet article a été préparé conjointement par :
- Me Claude Désy, M.Fisc., FCPA FCA, TEP et avocat chez Dunton Rainville S.E.N.C.R.L.
- M. Maher Kooli, titulaire de la chaire CDPQ de gestion de portefeuille, professeur titulaire et directeur du département de finance de l’ESG UQAM.