Le 22 septembre 2016, l’Honorable juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure rendait un jugement important dans l’affaire Astral Média Affichage c. Ville de Montréal (2016 QCCS 4541) en matière d’affichage publicitaire extérieur par lequel celui-ci déclarait nuls et inconstitutionnels les amendements réglementaires apportés en 2010 par le conseil d’arrondissement Le Plateau-Mont-Royal qui visaient à interdire partout sur son territoire la construction d’enseignes publicitaires et à forcer l’enlèvement de celles déjà légalement érigées dans un délai de douze mois.
La règlementation d’urbanisme de cet arrondissement définit la notion d’« enseigne publicitaire » comme visant toute enseigne constituant un usage principal et qui peut être située ailleurs qu’au lieu de l’établissement, du produit, du service ou de l’immeuble annoncé. Cela ne vise donc pas les enseignes dites « commerciales », qui elles constituent plutôt l’accessoire à un usage et sont installées sur le lieu de l’établissement ou de l’immeuble qui est annoncé.
Parmi les enseignes publicitaires, il existe une catégorie communément appelée «panneaux-réclame» dont la superficie est supérieure à 2,5 mètres carrés (généralement plus de 17 mètres carrés).
Les règlements adoptés en 2010 avaient pour effet de forcer les trois principales sociétés d’affichage publicitaire extérieur opérant au Québec à démanteler les 45 panneaux-réclame situés sur le territoire de l’arrondissement.
Ces trois sociétés d’affichage publicitaire extérieur ont donc intenté un recours en nullité de ces amendements réglementaires en invoquant plusieurs motifs, dont notamment celui d’une atteinte déraisonnable à la liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés et par la Charte des droits et libertés de la personne.
L’arrondissement a reconnu que ses amendements réglementaires portaient atteinte à la liberté d’expression. Il devait donc démontrer que cette atteinte était raisonnable et se justifiait dans le cadre d’une société libre et démocratique. Pour ce faire, il devait établir que ces amendements visent un objectif (prévention de la pollution visuelle) urgent et réel; qu’il existe un lien rationnel entre l’objectif poursuivi et le bannissement de toutes les enseignes publicitaires de son territoire ; que le bannissement de toutes les enseignes publicitaires est la mesure disponible portant le moins atteinte à la liberté d’expression dans la poursuite de l’objectif visé ; et finalement que les conséquences de l’atteinte à la liberté d’expression ne sont pas disproportionnées par rapport aux effets bénéfiques pouvant résulter de ce bannissement.
L’affichage publicitaire extérieur est l’un des modes d’expression les plus anciens qui a traversé les diverses époques. La Cour reconnaît que parmi les différents moyens de diffusion disponibles, l’affichage publicitaire extérieur constitue de loin le média le moins coûteux tout en offrant un haut niveau de diffusion. Considérant le déclin des journaux, des magazines et de la télévision, l’affichage publicitaire deviendra probablement le seul média de masse. La part de marché de l’affichage est d’ailleurs demeurée stable au cours des dernières années malgré la montée de l’internet et des différentes applications mobiles. Par conséquent, bannir ce mode d’expression entraînera inéluctablement une perte du discours social.
Par ailleurs, la Cour rappelle que l’expression commerciale joue un rôle dans le cadre de l’organisation de la société puisqu’elle peut favoriser des choix économiques éclairés. De plus, une partie de ce qui se retrouve sur les panneaux-réclame permet de transmettre des messages relatifs à des événements culturels ou artistiques ou des campagnes de publicité pour des sujets d’intérêt public. Finalement, dans le cadre du débat démocratique, tant lors d’élections que lorsque des intervenants sociaux veulent s’exprimer, les panneaux-réclame demeurent un moyen peu coûteux et efficace pour rejoindre leur public cible.
La Cour s’abstient de conclure que le mode d’expression que constitue l’affichage publicitaire extérieur constitue nécessairement une forme de pollution visuelle, ajoutant que l’on puisse soutenir le contraire. Les sociétés d’affichage ont d’ailleurs présenté une preuve visant à établir que l’enlèvement des panneaux-réclame, dans un environnement urbain, n’aurait pas d’impact visuel significatif et qu’au contraire, leur présence contribue à l’animation urbaine, notamment à des endroits tels que des viaducs, des stationnements, des terrains vacants et le long de murs aveugles.
La Cour a donc considéré que les amendements règlementaires attaqués ne constituaient pas une atteinte minimale à la liberté d’expression en regard de l’objectif visé d’amélioration du paysage urbain. Elle a également considéré que le bienfait escompté sur ledit paysage et la qualité de vie apparaît moins important que l’effet irrémédiablement délétère sur la liberté d’expression.
« Les effets néfastes de la violation de la liberté d’expression convainquent le Tribunal que ceux-ci s’avèrent plus graves que les avantages attendus des règlements litigieux de la Ville. En effet, ces avantages s’avèrent, d’une part, hypothétiques et, d’autre part, relevés d’un parti-pris idéologique sur la méthode urbanistique à privilégier pendant que les effets délétères sur la liberté d’expression ne font aucun doute. Exprimés autrement, les effets bénéfiques de l’interdiction n’apparaissent pas aussi manifestes que les effets négatifs sur la liberté fondamentale en cause. (par. 245) »
Le conseil d’arrondissement Le Plateau-Mont-Royal a mandaté les procureurs de la Ville de Montréal à porter ce jugement en appel.
Notons en terminant que les sociétés d’affichage publicitaire extérieur ont également invoqué que les amendements règlementaires adoptés en 2010 excédaient les pouvoirs de l’arrondissement en ce qu’ils constituaient une expropriation déguisée de panneaux-réclame légalement érigés. Elles allèguent que l’exploitation de ces panneaux-réclame constitue une activité commerciale licite et légitime. Or, s’appuyant sur l’arrêt Québec (Ville) c. Marché Trait-Carré inc. (REJB 2000-20990) confirmé par la Cour d’appel (2003 CanLII 72090), la Cour supérieure considère que puisqu’il s’est écoulé un délai de plus de cinq ans depuis l’adoption des amendements réglementaires bannissant les enseignes publicitaires, il y a eu « amortissement » des droits acquis.
L’affaire Québec (Ville) c. Marché Trait-Carré inc. était basée sur l’article 336(43°d) de l’ancienne Charte de la Ville de Québec (article 98(4°) de l’annexe C de l’actuelle Charte de la Ville de Québec) qui prévoyait expressément le pouvoir de la Ville de Québec d’adopter un règlement afin d’obliger l’exploitant d’un établissement à caractère érotique, dont l’occupation est devenue dérogatoire suite à un amendement règlementaire, à cesser sans indemnité l’exploitation de cet établissement dans un délai de deux ans. Or, il n’existe pas dans la Loi de dispositions prévoyant expressément la possibilité d’adopter un règlement municipal obligeant l’enlèvement d’une enseigne publicitaire légalement érigée devenue dérogatoire dans un délai déterminé et sans indemnité.
En s’appuyant sur la présomption à l’effet que le Législateur, en l’absence de termes clairs, n’est pas censé vouloir autoriser une expropriation sans indemnité, les sociétés d’affichage publicitaire extérieur ont saisi l’occasion de l’appel de la Ville de Montréal afin de demander à la Cour d’appel de réviser cette partie du jugement de la Cour supérieure et d’écarter l’application de ce concept d’« amortissement » des droits acquis aux panneaux-réclame.