Quelle est l’étendue de la créance du sous-entrepreneur qui peut être garantie par une hypothèque légale de la construction lorsqu’une modification des travaux intervient en raison d’un évènement qui ne lui est pas imputable ?
Dans l’arrêt Icanda1, la Cour d’appel du Québec conclut que la créance d’Icanda, qui était un sous-entrepreneur dans le projet de construction d’un immeuble, ne peut être garantie par une hypothèque légale de la construction en ce qui concerne les coûts indirects des travaux, soit les montants réclamés pour le temps d’attente et les coûts d’accélération2. La Cour précise que puisque « l’hypothèque légale de la construction confère une protection importante aux personnes impliquées dans la construction d’un immeuble, [s]es conditions d’ouverture doivent […] être interprétées strictement »3.
Au contraire, dans l’arrêt Falmec4, la Cour d’appel conclut que la créance de Falmec, qui est également un sous-entrepreneur, peut être garantie par une hypothèque légale de la construction en ce qui concerne les coûts indirects découlant de travaux supplémentaires, soit les « frais généraux et d’administration de chantier »5. La Cour énonce que puisque « [l]e Code civil ne précise pas quels coûts des travaux doivent être pris en compte pour l’établissement de la créance, il faut donc considérer celle-ci dans une perspective large »6.
Ce qu’il faut d’abord et avant tout comprendre, c’est qu’à la base, l’hypothèque légale de la construction garantit une créance découlant de travaux ayant conféré une plus-value au projet de construction7. Par contre, il existe une présomption que le coût total des travaux correspond à cette même plus-value dans le cas de la construction d’un nouvel édifice8, mais une preuve à l’effet contraire peut être présentée au tribunal et il arrivera que celui-ci aille à l’encontre de cette présomption comme dans Icanda.
Mais qu’est-ce qui explique ce courant jurisprudentiel contraire ? Il semble que ce soit à cause des frais supplémentaires ayant été engagés. En effet, dans Icanda, les travaux avaient été retardés puisque le propriétaire ne payait plus Icanda, mais tous les travaux finalement effectués par Icanda étaient initialement prévus aux plans et devis. Donc, il y a eu des frais encourus par Icanda en raison du retard dans les travaux et de la main-d’œuvre nécessaire à l’accélération des travaux pour respecter l’échéancier, mais pas à cause de nouveaux travaux demandés par le propriétaire ou l’entrepreneur. Dans Falmec, il a été reconnu par la Cour que les travaux ayant engendré des coûts supplémentaires découlaient uniquement des demandes de l’entrepreneur afin que Falmec effectue les travaux supplémentaires non prévus aux plans et devis.
Cette distinction concernant la cause des frais supplémentaires engagés semble donc expliquer cette contradiction. D’ailleurs, ce raisonnement est confirmé par l’affaire Partitions GF Systèmes9. Dans ce jugement, la Cour d’appel écarte l’arrêt Falmec précisément à cause de cette distinction : elle ne permet pas que des coûts indirects soient garantis par une hypothèque légale de la construction étant donné que ces coûts ne découlent pas de travaux non prévus au contrat initial entre les parties10.
Il est utile de mentionner que même si cette distinction semble pouvoir être faite entre ces deux affaires, la réponse à la question peut diverger. D’ailleurs, il est intéressant de noter que dans Icanda, la Cour ne cite pas Falmec. Est-ce un oubli ou est-ce délibéré ? Il faut dire que tant que le tribunal ne se penchera pas sur cette question en examinant toutes ses décisions en la matière, la réponse restera incertaine.