En tant qu’employeur, vous pouvez être confronté à divers recours de la part d’un employé qui souhaite faire valoir ses droits. Il peut en être ainsi lorsqu’un employé allègue avoir été victime de harcèlement au travail à la suite de comportements, de gestes ou de propos émanant de son supérieur ou de ses collègues de travail. Dans une telle situation, l’employé est susceptible de déposer une plainte en vertu des dispositions de la Loi sur les normes du travail (LNT) relatives au harcèlement psychologique et de soumettre une réclamation, en parallèle, auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST)*.
Ainsi, la question de savoir si un tel employé pouvait cumuler ces deux (2) recours a été amenée devant les tribunaux et, le 31 août 2015, la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Durocher<1>, a reconnu qu’un travailleur peut cumuler une réclamation devant la CNESST et une plainte en vertu de la LNT. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles (CLP) avait rejeté la réclamation de la travailleuse en concluant qu’elle n’était pas en présence d’une lésion professionnelle en ce que les comportements de l’employeur n’avaient pas outrepassé les limites de ceux auxquels un employé peut raisonnablement s’attendre. Cette même travailleuse avait également logé une plainte pour harcèlement psychologique, laquelle devait être entendue par la Commission des relations du travail (CRT).
À la suite des contestations judiciaires, la Cour d’appel a conclu que la CRT n’était aucunement liée par les conclusions de la CLP et ce, même si la travailleuse invoquait les mêmes faits au soutien de ses deux recours. En effet, un recours devant la CRT permet de faire reconnaître le droit d’un travailleur à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique et à faire constater, le cas échéant, que l’employeur a contrevenu à son obligation de prévenir le harcèlement. Par ailleurs, la réclamation d’un travailleur auprès de la CSST vise plutôt à faire reconnaître qu’il a été victime d’une lésion professionnelle et ce, sans égard à la responsabilité de quiconque, contrairement aux règles régissant le harcèlement psychologique.
Par contre, les employeurs peuvent éviter la multiplicité des débats devant les tribunaux administratifs et limiter les procédures entamées par un employé.
En effet, la Cour d’appel a confirmé que les tribunaux administratifs peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire afin de déterminer si les conditions d’ouverture à la « préclusion d’une question déjà tranchée » sont satisfaites. Cette doctrine de la préclusion permet à un tribunal d’éviter la création d’une iniquité ou d’une injustice lorsque :
1) La même question a été tranchée dans une procédure antérieure;
2) La décision judiciaire antérieure est définitive;
3) Les parties sont les mêmes dans chacune des instances.
Il importe de souligner qu’il ne s’agit pas d’une application automatique par le tribunal, mais bien de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
C’est ainsi que, dans une récente décision<2>, le Tribunal administratif du travail, division de la santé et de la sécurité du travail<3> a rejeté la réclamation d’une travailleuse qui avait soumis une réclamation auprès de la CSST pour une lésion psychique, en concluant que la CRT avait déjà répondu à la question principale à laquelle elle était appelée à répondre. Ce faisant, le Tribunal administratif du travail a appliqué la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée par un autre tribunal, comme le permettait la Cour d’appel dans l’affaire Durocher et a rejeté la réclamation de la travailleuse en déclarant celle-ci irrecevable.
En conséquence, bien qu’un travailleur puisse cumuler les deux recours fondés sur la LATMP et sur la LNT en matière de harcèlement au travail, l’employeur conserve l’opportunité de faire valoir la doctrine de la préclusion et éviter un débat inutile devant l’un ou l’autre des décideurs appelés à trancher la réclamation ou la plainte de ce travailleur.
* Remplace, depuis le 1er janvier 2016, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).
<1> 2015 QCCA 1384.
<2> Beauchemin et Caisse populaire de Beloeil, 2016 QCTAT 185.
<3> Ce tribunal remplace depuis le 1er janvier 2016 la Commission des lésions professionnelles.
Cet article a été publié dans Québec Municipal le 29 janvier 2016.