Que ce soit en matière de zonage, de construction ou de lotissement, les droits acquis n’existent que pour une situation juridique existante avant l’entrée en vigueur d’un règlement qui ne l’autorise plus.
Contrairement à un règlement de zonage où, depuis l’arrêt Boyd Builders1, les droits acquis peuvent être reconnus si une demande de permis complète et conforme a été déposée avant le dépôt de l’avis de motion ou l’entrée en vigueur du règlement, dans le cas d’un règlement de lotissement, le permis doit avoir été accordé ou l’opération cadastrale effectuée au préalable2.
Ainsi, les droits acquis en matière de lotissement s’acquièrent lorsque les conditions suivantes sont remplies :
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le lotissement a été fait, ou le permis de lotissement a été obtenu, avant l’interdiction;
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le lotissement était légal immédiatement avant le début de l’interdiction;
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le lotissement existe toujours tel quel3;
La question s’est ainsi posée en jurisprudence quant aux effets de la rénovation cadastrale effectuée en vertu de la Loi favorisant la réforme du cadastre québecois4 sur l’existence de droits acquis en matière de lotissement.
Cette question, qui avait déjà été soumise aux tribunaux notamment dans l’affaire Carbonneau c. Val-des-Monts5, constituait la question en litige dans l’affaire Mathieu c. Municipalité du Canton de Shefford6, tranchée le 8 mai 2019 par la Cour supérieure.
Plus particulièrement, l’honorable Sylvain Provencher, j.c.s., devait déterminer si un lot créé et immatriculé par la rénovation cadastrale, pendant la période de l’effet de gel d’un règlement, bénéficiait d’un droit acquis à l’encontre de la nouvelle réglementation. Le juge Provencher y a répondu par la négative.
Dans cette affaire, le demandeur voulait que la Cour reconnaisse ses droits acquis puisqu’il souhaitait construire une résidence sur son lot et le règlement en vigueur contenait la condition suivante, laquelle se retrouve d’ailleurs, à quelques variantes près, dans la majorité des règlements de lotissement des municipalités du Québec :
Le terrain sur lequel doit être érigée chaque construction projetée, y compris ses dépendances, forme un ou plusieurs lots distincts sur les plans officiels du cadastre, qui sont conformes au règlement de lotissement de la Municipalité ou, s’ils ne sont pas conformes, qui sont protégés par droits acquis.
Le demandeur plaidait essentiellement que la rénovation cadastrale entrée en vigueur le 8 août 2005 sur le territoire de la Municipalité du Canton de Shefford conférait des droits acquis à son lot au même titre que s’il avait obtenu un permis de lotissement ou procédé à une opération cadastrale avant la nouvelle réglementation.
Selon la Cour supérieure, les droits acquis auxquels l’article 116 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (« L.A.U. ») fait référence ne peuvent viser « que les lotissements opérés dans le cadre juridique établi par la réglementation municipale »7. En effet, toujours selon la Cour supérieure, la rénovation cadastrale vise à reconstituer une image complète et fidèle du territoire et non pas à restreindre ou contrôler la fragmentation d’un territoire, alors que des lois spécifiques, telle la L.A.U., ont été adoptées à cette fin8.
Puisque dans le cas en l’espèce le demandeur n’avait ni obtenu de permis de lotissement ni procédé à une opération cadastrale au sens de l’article 3043 du Code civil du Québec, et ce, avant l’avis de motion du nouveau règlement de lotissement, son lot ne bénéficiait pas de droits acquis9.
Cette décision vient donc confirmer les règles strictes devant être respectées pour pouvoir invoquer des droits acquis en faveur d’un lot, et ce, malgré la rénovation cadastrale.
1 City of Ottawa et al. v. Boyd Builders Ltd., [1965] SCR 408.
2 Entreprises J.P. Leblanc inc. c. Corp. municipale du Canton de Granby, J.E. 94-1519 (C.S.); Lorne Giroux, Les pouvoirs des corporations municipales locales en matière d’aménagement, dans Droit québécois de l’aménagement du territoire, dit. Michel Poirier, RDUS, 1983.
3 Jacques L’Heureux, Droit municipal québécois : Les pouvoirs en matière d’urbanisme, t. II, Montréal, Wilson & Lafleur, 1984, p. 686 et 687.
4 RLRQ, c. R-3.1.
5 Carbonneau c. Val-des-Monts (Ville), 2003 CanLII 526 (CS).
6 Mathieu c. Municipalité du Canton de Shefford, 2019 QCCS 1745; Le délai d’appel de ce jugement n’est pas encore expiré à la date de publication du présent article.
7 Ibid., par. 29.
8 Ibid., par. 15.
9 Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, article 1 (7).