La régie de l’énergie déclare que les compensations versées par Hydro-Québec à Énergir pour les conversions à la biénergie des systèmes de chauffage au gaz ne peuvent être financées par les tarifs des consommateurs d’électricité.
Le 22 février 2023, la Régie de l’énergie du Québec (« la Régie ») rendait une décision très importante (D-2023-024, dossier R-4195-2022) venant révoquer la décision qu’elle avait rendue le 19 mai 2022 (D-2022-061, tel que rectifiée par sa décision D-2022-079) concernant l’Offre biénergie élaborée conjointement par Hydro-Québec et Énergir à l’égard des systèmes de chauffage au gaz.
À titre de rappel, le 16 septembre 2021, Hydro-Québec et Énergir déposaient à la Régie une demande conjointe (R-4169-2021, phase 1) visant principalement la reconnaissance d’un principe général selon lequel la compensation qu’Hydro-Québec versera annuellement à Énergir (« Contribution GES ») et sa méthode d’établissement, telles que prévues à l’Entente de collaboration relativement au projet favorisant la décarbonation dans le chauffage des bâtiments grâce à la biénergie électricité-gaz naturel signée le 13 juillet 2021 (« l’Entente »), seront considérées aux fins de l’établissement des revenus requis pour la fixation des tarifs de ces deux distributeurs.
Cette Contribution GES est fixée en fonction des pertes de revenus d’Énergir qui seront causées par la conversion de systèmes de chauffage au gaz en des systèmes biénergie et vise à équilibrer les impacts tarifaires qui résulteront de cette Offre biénergie pour les consommateurs de chacun de ces deux distributeurs.
Ce Projet biénergie, concrétisé par l’Entente, fait suite à la demande faite aux deux distributeurs par le Gouvernement du Québec, dans le cadre de son Plan de mise en œuvre 2021-2026 de son Plan pour une économie verte 2030, de proposer conjointement les meilleurs moyens de réduire la part du carbone dans la chauffe des bâtiments au meilleur coût, pour les clients comme pour l’ensemble de la collectivité.
Le 23 juin 2021, le Gouvernement du Québec avait adopté le Décret 874-2021 dans lequel il indiquait à la Régie ses préoccupations économiques, sociales et environnementales à l’égard de la mise en œuvre d’une solution favorisant la réduction des émissions de GES dans le chauffage des bâtiments par l’intermédiaire de la conversion à la biénergie électricité-gaz naturel. Ce décret indiquait notamment qu’il y avait lieu de reconnaître les efforts des deux distributeurs, dont le résultat a pris la forme d’une solution conjointe et d’une entente négociée, et qu’il y avait également lieu de permettre un partage entre ceux-ci des coûts liés à la solution visant la conversion à la biénergie d’une partie des clients actuels d’Énergir et ce, afin d’équilibrer l’impact tarifaire entre les clients des deux dits distributeurs.
Le 19 mai 2022, la 1re formation de la Régie a rendu la décision D-2022-061, tel que rectifiée par sa décision D-2022-079, sur la demande conjointe des distributeurs en reconnaissance d’un principe général. Par cette décision, la 1re formation de la Régie reconnaissait le principe général tel que demandé par les distributeurs, avec cependant la dissidence du Régisseur François Émond.
Le 20 juin 2022, l’Association des consommateurs industriels d’électricité («AQCIE») et le Conseil de l’industrie forestière du Québec («CIFQ») déposaient devant la Régie une demande visant la révocation de la conclusion de la majorité de la 1re formation qui reconnaissait à titre de principe général l’inclusion de la Contribution GES dans les revenus requis d’Hydro-Québec, afin d’y substituer, par voie de révision, une conclusion en rejet de cette demande des distributeurs. Le RNCREQ et le ROÉE ont également déposé chacun leurs propres demandes de révocation et de révision.
Au soutien de leur demande, l’AQCIE-CIFQ faisaient valoir que cette contribution n’est pas une dépense « nécessaire » pour assumer le coût de la prestation du service de distribution d’électricité (art. 49(1) 2° de la Loi sur la Régie de l’énergie (« LRÉ »)) et son inclusion dans les revenus requis d’Hydro-Québec mènerait à des taux « plus élevés qu’il n’est nécessaire » pour permettre de maintenir le « développement normal d’un réseau de distribution » (art. 51 LRÉ). Subsidiairement, l’AQCIE-CIFQ faisaient valoir que la conclusion contestée de la majorité de la 1re formation était trop précise pour être qualifiée de principe général et était au surplus de nature tarifaire, ce qui ne peut faire l’objet d’une demande avant 2025 en vertu de l’article 48.2 LRÉ.
Le 22 février 2023, par sa décision D-2023-024, la 2e formation de la Régie accueille la demande en révocation et révision de l’AQCIE et le CIFQ pour les motifs invoqués par ces derniers.
La 2e formation reconnaît ainsi que la majorité de la 1re formation a commis une erreur sérieuse déterminante en considérant que la Contribution GES constituait une dépense « nécessaire » pour assumer le coût de la prestation du service de distribution d’électricité au sens de l’article 49(1)2° LRÉ, ce qui constitue un vice de fond de nature à invalider la conclusion attaquée (par. 246 de la décision).
Cette interprétation de la majorité de la 1re formation est insoutenable et découle du fait qu’elle n’a pas tenu compte de l’intention du Législateur derrière l’article 51 LRÉ ayant pour objectif d’imposer certaines balises afin d’assurer aux consommateurs qu’ils ne paient dans leurs tarifs que les coûts qui sont nécessaires pour recevoir les services entendus (par. 224 et 243 de la décision).
Les objectifs visés par les politiques énergétiques du Gouvernement du Québec peuvent être pris en considération par la Régie, mais ne peuvent servir à justifier un élargissement de la portée de ce qui peut être inclus, en vertu de la LRÉ, dans les revenus requis pour assurer l’exploitation du réseau (par. 236, 238 et 259 de la décision).
À l’instar de l’AQCIE-CIFQ, la 2e formation est d’avis que la majorité de la 1re formation a substitué le test de la nécessité d’une dépense par un test de nécessité du succès du Projet biénergie (par. 244 et 245 de la décision).
La seule conclusion soutenable possible est que la Contribution GES ne peut être considérée comme une dépense nécessaire au coût de prestation du service de distribution d’électricité (par. 247 de la décision). À sa face même, la contribution GES n’est aucunement requise pour l’exploitation du réseau de distribution d’électricité au sens de l’article 49(1) 2° LRÉ (par. 255 de la décision). Son inclusion dans les revenus requis contreviendrait également à l’article 51 LRÉ en permettant d’inclure une dépense qui n’est pas nécessaire pour l’exploitation du réseau, faisant ainsi supporter aux consommateurs d’électricité des tarifs plus élevés que nécessaire (par. 256 de la décision).
Ainsi, l’inclusion de la Contribution GES dans les revenus requis d’Hydro-Québec ne peut se faire sans un amendement à la Loi (par. 261 de la décision).
La 2e formation conclut ensuite que la majorité de la 1re formation a également commis une erreur de compétence en considérant que la conclusion recherchée par les Distributeurs à l’égard des revenus requis d’Hydro-Québec constituait un « principe général » pouvant faire l’objet d’une demande de reconnaissance en vertu de l’article 32(3°) LRÉ.
Elle considère en effet que la reconnaissance du principe demandée constitue dans les faits une décision tarifaire qui détermine à l’avance un élément du revenu requis aux fins de la détermination des tarifs de distribution d’électricité, en dehors du processus d’établissement quinquennal des tarifs d’électricité prévu à l’article 48.2 LRÉ (par. 290 de la décision).
En conséquence, la 2e formation révoque la conclusion attaquée par l’AQCIE-CIFQ, qui reconnaissait l’inclusion de la Contribution GES dans les revenus requis d’Hydro-Québec, et rejette la demande des distributeurs de reconnaître un tel principe général (par. 292 et 351 de la décision). Si l’Entente est maintenue, Hydro-Québec ne pourra donc récupérer auprès de sa clientèle les Contributions GES versées à Énergir.
Par ailleurs, considérant que la Contribution GES est un revenu pour Énergir, la 2e formation ne révoque pas la conclusion reconnaissant la prise en compte de cette contribution dans les revenus requis d’Énergir (par. 262 à 266, 293 et 294 de la décision).