La société québécoise évolue et nous le constatons tous les jours dans plusieurs sphères de nos vies. La notion « d’union entre deux êtres » est l’un des aspects de notre société ayant grandement changé depuis un certain nombre d’années. En effet, elle ne se définie plus seulement par le mariage qui était, jadis, le passage habituel vers la vie d’adulte et de famille. Dorénavant, le mariage n’est que l’un des types d’union présent dans la société québécoise. Depuis le déclin de la religion et la révolution tranquille, nous avons vu naître l’union civile et l’union de fait. L’union civile est définie par le Code civil du Québec comme ayant les effets du mariage sur de nombreux aspects<1>. Quant à l’union de fait, elle n’est pas reconnue par le Code civil du Québec. Dans le présent texte, nous traiterons des couples vivant en union de fait. Ces couples, souvent appelés conjoints de fait, qui vivront ensemble plusieurs années avec, dans leur quotidien, le même « modus operandi » que tous les autres couples, à l’exception de n’avoir jamais uni leurs destinées par les liens officiels du mariage ou de l’union civile et qui, par conséquent, ne sont pas assujettis aux mêmes règles.
Soulignons que, récemment, la constitutionnalité du « modèle matrimonial actuel des Québécois» a été réaffirmée par la Cour Suprême du Canada<2>, ayant pour conséquence que la notion de conjoint, telle que définie par le Code civil du Québec, exclue toujours aujourd’hui les conjoints en union de fait.
Cette décision est l’un des nombreux exemples à l’effet qu’il est régulièrement traité, dans un contexte de séparation ou de divorce, de la différence entre les droits et obligations des conjoints mariés (ou unis civilement) et ceux des conjoints en union de fait. Ces événements provoquent toujours beaucoup d’émois et font parler d’eux, ce qui permet à la population québécoise de comprendre qu’il y a une différence entre les conjoints mariés (ou unis civilement) et les conjoints en union de fait advenant la fin d’une union. Mais qu’en est-il des droits et obligations des conjoints en union de fait lors du décès de l’un d’eux ? Ils font un peu moins jaser sur la place publique….
C’est parce que ces situations sont vécues dans l’ombre que se perpétue la fameuse légende urbaine qui entoure les conjoints en union de fait. Et c’est problématique ! En raison de cette légende urbaine, une grande majorité des couples en union de fait sont fermement convaincus qu’advenant le décès de l’un d’eux, ils sont protégés par la loi. Certains vont jusqu’à penser qu’ils héritent l’un de l’autre automatiquement, même en l’absence de testament. Cette croyance a des effets économiques dévastateurs puisque c’est tout à fait le contraire : en l’absence de testament, ils n’héritent d’absolument rien de ce qui appartenait à leur conjoint ! Nous devons le répéter : la notion de conjoint, telle que définie par le droit commun dans la province de Québec, exclue toujours à l’heure actuelle les conjoints en union de fait, et ce, aussi dans le contexte d’un décès. En effet, le Code civil du Québec prévoit clairement qu’en l’absence de dispositions testamentaires autres, la succession est dévolue au conjoint survivant qui était lié au défunt par mariage ou union civile et aux parents du défunt, dans l’ordre et suivant les règles de la dévolution légale des successions<3>.
Quelles sont les conséquences concrètes de notre Code civil du Québec sur les couples en union de fait advenant le décès de l’un d’eux? Allons-y avec l’exemple d’un couple en union de fait n’ayant pas d’enfant. Ils sont propriétaires, dans la proportion de 50% chacun, d’un immeuble ayant une valeur marchande de 400 000,00$. L’un d’eux décède. Qui hérite des droits appartenant au défunt dans l’immeuble? Le Code civil du Québec, à défaut de testament, prévoit qu’en l’absence de conjoint survivant (qui était lié au défunt par mariage ou union civile) et de descendants (enfants du défunt), la succession est partagée également entre les ascendants privilégiés (père et mère du défunt) et les collatéraux privilégiés (les frères et sœurs du défunt)<4>. Ainsi, le conjoint survivant n’hérite pas de la moitié de l’immeuble qui appartenait à son défunt conjoint. Ce sont ses beaux-parents, beaux-frères et belles-sœurs qui en héritent. En d’autres mots, dans l’hypothèse où l’immeuble est le seul actif de la succession, le conjoint survivant devra « racheter » à sa belle-famille la moitié de l’immeuble qui appartenait à son défunt conjoint pour pouvoir devenir unique propriétaire de l’immeuble. Le tout, pour la modique somme de 200 000,00$, soit les droits du défunt conjoint dans l’immeuble au moment de son décès.
D’où vient cette légende urbaine qui amène les conjoints en union de fait à croire qu’ils sont protégés par la loi ? Il est permis de constater que cette confusion relative aux droits et obligations des conjoints en union de fait découle, entre autres, de la notion de conjoint de fait prévue à la Loi de l’impôt sur le revenu<5> ainsi que de la notion de conjoint, que l’on pourrait dire « élargie », telle que définie dans différentes lois, autres que le Code civil du Québec. Nous pouvons penser aux différentes lois régissant les régimes de retraite<6>, à la Loi sur le régime des rentes du Québec<7> et à la Loi sur l’assurance automobile<8>, pour n’en nommer que quelques-unes. Ainsi, aux termes de ces « autres lois », les conjoints en union de fait peuvent se prévaloir, tout comme les conjoints mariés ou unis civilement, de divers avantages prévus par ces lois en démontrant qu’ils répondent à certains critères de qualification. Ces critères sont généralement reliés à la durée de la relation ou le fait d’avoir un enfant en commun.
En terminant, la seule et unique façon pour les conjoints en union de fait d’empêcher une situation désastreuse est de faire un testament. Le testament viendra déterminer à qui vont les biens du défunt conjoint et ainsi permettre d’éviter l’application des dispositions du Code civil du Québec concernant la dévolution légale des successions<9>.
<1> Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 521.6, al.4 (ci-après cité « C.c.Q. »).
<2> Québec (Procureur général) c. A, [2013], 1 R.C.S. 61.
<3> C.c.Q., art. 653.
<4> C.c.Q., art. 674.
<5> Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), c.1 (5e supp.).
<6> Loi sur le régime de retraite des enseignants, L.R.Q., c. R-11, art. 46; Loi sur le régime de retraite des fonctionnaires, L.R.Q., c. R-12, art. 77.
<7> Loi sur le régime des rentes du Québec, L.R.Q., c. R-9, art. 91.
<8> Loi sur l’assurance automobile, L.R.Q., c. A-25, art. 2.
<9> C.c.Q., art. 666 et suiv.