La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles 1 (LATMP) prévoit aux articles 270-272 qu’un travailleur doit produire sa réclamation d’indemnisation dans les six mois d’une lésion professionnelle. Le moment précis de la lésion pouvant être difficile à déterminer, la jurisprudence a établi que le délai de computation devait être calculé à partir du moment où le travailleur a un intérêt réel et actuel de le faire.
Cet intérêt sera déterminé en fonction des circonstances de chaque cas d’espèce. L’affaire Poirier et Hydro Québec 2 rassemble ainsi un amalgame de situations pour lesquelles les tribunaux ont déterminé que le critère de l’intérêt réel et actuel était rempli. Notamment, on y retrouve le diagnostic prononcé par un médecin, la survenance de la lésion elle-même, la remise d’une attestation médicale par le médecin au travailleur ou encore le moment où la lésion commence à se manifester. La naissance d’un intérêt financier serait également un bon indice sous-tendant l’intérêt du travailleur, notamment dans le cas d’un arrêt de travail ou du début de traitements coûteux.
Une fois le point de départ déterminé, un travailleur aura 6 mois pour valablement déposer une réclamation. Néanmoins, l’article 352 LATMP prévoit que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (Commission) peut relever un travailleur de son défaut à la condition de fournir un motif raisonnable justifiant son retard. Sera considéré comme raisonnable un motif qui est « non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion » 3.
Parmi les différents motifs qui ont été jugés raisonnables, nous retrouvons notamment les situations où les conséquences de l’événement seraient apparues longtemps après celui-ci, par exemple dans un cas d’agression sexuelle. Ainsi, dans l’affaire Bernard et Resto-Casino inc. 4, le Tribunal mentionne que l’examen des motifs doit se faire de façon large et libérale. Faire autrement entraînerait des conséquences graves voire irrémédiables pour la victime 5.
Dans l’affaire Botsis et V. & X. Création ltée, 6 une immigrante grecque qui ne parle ni le français ni l’anglais se rend chez Emploi et Immigration Canada pour demander des prestations d’invalidité en assurance-chômage. On lui apprend des mois plus tard que c’est plutôt à la Commission qu’elle devait s’adresser, ce qu’elle fait dès le lendemain. Le Tribunal va prendre en compte la situation particulière de la travailleuse pour la relever de son défaut, soit le fait qu’elle est unilingue, analphabète, recluse et qu’elle n’avait jamais eu affaire par le passé avec la Commission. Les circonstances exceptionnelles de cette situation constituent donc un motif raisonnable au sens de l’article 352 LATMP; toutefois, l’ignorance de la loi n’est généralement jamais considérée comme un motif raisonnable par les tribunaux 7.
Qu’en est-il du devoir d’assistance de l’employeur, tel que stipulé à l’alinéa 2 de l’article 266 LATMP : « L’employeur facilite au travailleur et à son représentant la communication de cet avis » 8? À cet effet, le Tribunal dira dans l’affaire Bernier 9 :
[83] De plus, bien que l’employeur ait envers le travailleur un devoir d’assistance pour remplir le formulaire de réclamation, il n’a pas l’obligation de diriger le travailleur vers la CSST ou de lui donner son opinion quant à l’admissibilité de sa lésion.
[84] C’est au travailleur que revient l’obligation de produire une réclamation et de recueillir les informations nécessaires à sa prise de décision. En l’espèce, le travailleur n’est pas démuni ni sans ressource et il connaît la CSST et la procédure de réclamation puisqu’il a déjà fait des réclamations pour ses maux de dos. (Nos soulignements).
Dans la même ligne de pensée, la commissaire dans l’affaire Domagala 10 refuse de justifier le défaut du travailleur au motif que le syndicat ou l’employeur ne l’auraient pas guidé dans sa démarche (paras 31-33). Sera également considéré déraisonnable de s’attendre à ce que le médecin fasse les démarches pour le travailleur 11. Ainsi, la partie qui tente de plaider un cas d’exception devra avoir agi de façon prudente et diligente, au risque de voir sa demande rejetée pour le motif d’avoir été l’auteure de son propre malheur.
1 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ c A-3.001 [LATMP].
2 Poirier et Hydro-Québec, (2006) C.L.P. 91, para 29.
3 Purolator ltée et Langlais, C.L.P., 87109-62-9703, 11 décembre 1997, R. Jolicoeur, (J9-11-06).
4 Bernard et Resto-Casino inc., 130173-62-0001, 00-07-17, H. Marchand .
5 Ibid, aux paras 52 à 54.
6 Botsis et V. & X. Création ltée, (1990) C.A.L.P. 471.
7 Jmyi et Cégep de l’Outaouais, 360051-07-0809, 09-05-11, M. Gagnon Grégoire, (09LP-28), para 84.
8 LATMP, supra note 1, art 266 al 2.
9 Bernier (Re), 2006 CanLII 79766 (QC CLP), para 83 et 84.
10 Domagala et Collège Lionel-Groulx, 2007 QCCLP 5495, para 31 à 33.
11 Fortin et Accès Formation inc., 2010 QCCLP 3667.