Il est difficile pour un inspecteur municipal de connaître la portée ainsi que la limite de ses pouvoirs d’inspection, particulièrement avec les développements jurisprudentiels récents dont la Cour d’appel traite dans Ville de Montréal c. Les Constructions Fédérales inc.
L’affaire Ville de Montréal c. Les Constructions Fédérales inc.
Dans l’affaire Ville de Montréal c. Les Constructions Fédérales inc.1, des employés de la ville ont soupçonné qu’à plusieurs reprises, la compagnie Les Constructions Fédérales inc. aurait déposé et enfoui des débris de démolition sur une de ses propriétés. À la suite à ces constatations, des inspecteurs de la ville souhaitaient visiter l’endroit afin de procéder à une inspection et une expertise; la compagnie s’y opposait.
Les inspecteurs municipaux souhaitaient plus particulièrement procéder à la visite du site, prendre des photos, excaver, ainsi que prélever des échantillons du remblai présent sur le terrain. La question en litige était de connaître l’étendue du pouvoir d’inspection des inspecteurs et s’il s’agissait dans les circonstances d’une saisie abusive en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés2.
La Cour supérieure avait d’ailleurs donné raison à la compagnie qui contestait la visite des inspecteurs.
Le 19 mai 2020, la Cour d’appel infirmait cette dernière décision et permettait la visite des lieux ainsi que l’utilisation d’équipement lourd. Ce faisant, elle confirmait la jurisprudence antérieure à l’effet que « les tribunaux ont jugé de façon constante, que les pouvoirs d’inspection administrative sans autorisation préalable n[’étaient] pas abusifs ». De plus, elle mentionnait que sans ce pouvoir d’inspection évalué au regard des Chartes avec une sévérité diminuée, les règlements municipaux perdraient de leur efficacité.
En résumé, ce n’est que si des inspections complètes et sans autorisation sont possibles que la règlementation municipale peut être effectivement appliquée. Si les mêmes critères que ceux s’appliquant aux enquêtes criminelles devaient s’appliquer aux inspections suivant des règlements administratifs, il serait difficile sinon impossible de s’assurer que les activités individuelles des citoyens municipaux soient compatibles avec le bien commun.
Les conséquences de cette affaire
Les inspecteurs municipaux ont donc des pouvoirs assez étendus pour en arriver à leur fin. Cependant, toute chose a des limites, mais quelles sont-elles ?
En premier lieu, ce pouvoir doit toujours être exercé en vertu d’une habilitation législative ou règlementaire, qu’on retrouve le plus souvent dans un règlement municipal. Sans cette permission de la loi ou du règlement, l’inspection serait illégale.
Lorsque la loi prévoit que l’inspecteur a le droit d’examiner les lieux, cela lui permettra de visiter, de prélever des échantillons, des prendre des photographies, d’être accompagné d’experts si nécessaire, etc. pour arriver à ses fins qui sont généralement de vérifier si les règlements municipaux sont respectés. L’inspecteur n’a besoin d’aucun soupçon, encore moins de démontrer une dérogation, pour pouvoir effectuer cette visite. Comme l’a mentionné la Cour, sans ces pouvoirs, le travail de l’inspecteur deviendrait inefficace.
Cependant, l’inspecteur devra garder en tête que lorsqu’il y a visite sur un terrain privé pour vérifier si l’état des lieux contrevient à un règlement municipal, cela affecte inévitablement les droits et libertés accordés par la Charte canadienne; par exemple le droit à la vie privée et le droit à la protection contre les fouilles et saisies abusives. Il faut donc qu’il soit particulièrement prudent de respecter les limites que la Loi et les règlements lui imposent dans son pouvoir de visite.
Il a été décidé aussi par la Cour d’appel que l’entrée de force dans une résidence par un inspecteur municipal, sans une ordonnance préalable de la Cour, n’est pas permise par les pouvoirs qui lui sont donnés3 (quoique la preuve a été retenue, la Cour décidant qu’elle ne déconsidérait pas l’administration de la justice).
Ainsi, lorsqu’un citoyen refuse l’accès à sa résidence à un inspecteur, il serait prudent pour ce dernier d’obtenir une autorisation préalable de la Cour. Bien que le refus du citoyen de laisser l’inspecteur visiter la résidence puisse entrainer des amendes et des conséquences pénales sérieuses, la nécessité de recourir à une ordonnance de la Cour nuit considérablement à l’application rapide des règlements municipaux en cas de dérogation; la Cour d’appel ayant suggéré qu’une modification législative serait peut-être nécessaire.
**Cet article a été préparé avec la collaboration de Rebecca Laporte-Duval, stagiaire
1 Ville de Montréal c. Les Constructions fédérales inc., 2020 QCCA 650 ;
2 Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11], art. 8.
3 Sainte-Agathe des Monts (Ville de) c. Amzallag, 2016 QCCS 1188.