Le 8 juillet 2016, la Cour Suprême du Canada a rendu une décision importante en matière criminelle. La Cour, dans l’affaire R. c. Jordan 2016 CSC 27, vient révolutionner le droit au niveau des délais et détermine un nouveau cadre d’analyse pour l’application de l’article 11 b) de la Charte Canadienne des droits et libertés. Les cinq juges majoritaires écrivent dans leur décision qu’ils veulent mettre fin à la « culture de complaisance à l’égard des délais qui s’est répandue dans le système de justice criminelle ces dernières années » (par. 135 du jugement) et pour ce faire, ils demandent à tous les participants du système de justice de collaborer afin que justice soit rendue rapidement et efficacement pour réaliser les objectifs de l’article 11 b) de la Charte.
Au cœur de ce nouveau cadre proposé par la majorité se trouve l’imposition d’un plafond présumé déraisonnable. Ce plafond est fixé à 18 mois pour les procès devant une cour provinciale, incluant les infractions statutaires, et à 30 mois pour les affaires instruites devant une cour supérieure, ou une cour provinciale à l’issue d’une enquête préliminaire. Au-delà de ce délai entre le dépôt des accusations et la tenue du procès, la Cour considère qu’il y a atteinte au droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable et donc violation à l’article 11 b) de la Charte Canadienne des droits et libertés.
Une fois le plafond dépassé, la poursuite pourra réfuter le caractère déraisonnable du délai en invoquant des circonstances exceptionnelles. Les circonstances exceptionnelles doivent être des événements distincts, indépendants de la volonté du ministère public et auxquels il ne peut remédier (exemple : décès, urgence médicale, etc.), et donc le délai attribuable à cet événement sera soustrait du calcul du délai total. Les circonstances exceptionnelles peuvent également provenir de la complexité de l’affaire (exemple : la preuve, le nombre de témoins, etc.) et le délai pourrait être considéré raisonnable. Par contre, la poursuite ne pourra plus invoquer l’absence de préjudice pour le défendeur, la gravité objective de l’infraction ou les délais institutionnels pour rendre raisonnable un délai qui dépasse le plafond présumé.
Lorsque le délai est inférieur au plafond, la défense pourra néanmoins prouver le caractère déraisonnable du délai. Pour ce faire, elle doit démontrer qu’elle a fait les efforts nécessaires pour accélérer les procédures pour qu’elle soit entendue le plus rapidement possible (par exemple, elle a tenté d’avoir des dates de cour rapprochées, elle a collaboré avec la poursuite, etc.). De plus, elle doit prouver que le délai a manifestement dépassé ce qu’il aurait dû être dans les circonstances, compte tenu de la complexité du dossier et les réalités de la Cour. Pour les dossiers déjà en cours, le tribunal doit appliquer le nouveau cadre d’analyse avec souplesse selon le contexte.
Suite à ce jugement de la Cour Suprême du Canada, il est clair qu’un changement réel sera exigé de tous les intervenants du système de justice criminelle. Pour l’avocat de la poursuite, cela signifie faire des choix responsables à l’égard du chef d’accusation porté, s’acquitter de son obligation de divulgation de la preuve rapidement et travailler en collaboration avec la police et la défense pour utiliser le temps du tribunal le plus efficacement possible. Pour l’avocat de la défense, il devra faire valoir les droits de ses clients activement et coopérer avec l’avocat du ministère public.
De plus, les tribunaux devront mettre en œuvre des procédures plus efficaces pour minimiser les délais. Les juges devront agir avec diligence et faire les efforts raisonnables pour gérer le déroulement du procès efficacement (Paragraphe 139).
En conclusion, « pour permettre aux tribunaux de maintenir la confiance du public en rendant justice en temps utile, il faut apporter des changements structurels et procéduraux supplémentaires au système en plus de fournir des efforts quotidiens ».