S’il y a un sujet délicat et sensible par les temps qui courent dans le monde municipal, c’est bien l’attribution des contrats d’une municipalité à différents fournisseurs.
Ceux-ci doivent être attribués selon des règles strictes et précises, lesquelles vont varier selon la valeur de celui-ci et sa nature. En effet, à titre d’exemples, un contrat de services professionnels de moins de vingt-cinq mille dollars (25 000,00 $) peut être attribué de gré à gré, tandis qu’un contrat de déneigement, dont la valeur excède ce montant, sera attribué à la suite d’un appel d’offres. Cependant, dans ce dernier cas, c’est le conseil municipal qui doit procéder, par résolution, à l’attribution formelle du contrat au plus bas soumissionnaire.
Cependant, qu’en est-il du cas où le plus bas soumissionnaire, voire même le seul soumissionnaire, est également le conjoint d’un membre du conseil de la municipalité adjudicataire? Peut-il obtenir le contrat ? Le conjoint membre du conseil peut-il être déclaré inhabile?
C’est à ces questions que la Cour supérieure a dû répondre tout récemment dans l’affaire Québec (Procureure générale) c. Saucier[1]. Dans cette affaire, la défenderesse, alors qu’elle était conseillère municipale de Preissac en Abitibi, a participé à l’adoption de résolutions accordant des contrats d’entretien de gazon et de déneigement d’immeubles à celui qui était alors son conjoint.
Fait à noter ici : le conjoint était le seul soumissionnaire sur plusieurs de ces contrats dont personne d’autre ne voulait. Devant ces faits, la Procureure générale du Québec (ci-après nommée « PGQ ») a présenté une requête à la Cour supérieure afin de faire déclarer madame Saucier inhabile à occuper un poste au sein d’un conseil municipal pour une durée de cinq (5) ans à compter du jugement à être rendu.
Cette demande prenait appui sur une violation alléguée de madame Saucier de l’article 304 de la Loi sur les élections et les référendums (ci-après nommée « LÉRM ») qui prévoit qu’ « est inhabile à exercer la fonction de membre du conseil (…) la personne qui sciemment, pendant la durée de son mandat (…), a un intérêt direct ou indirect dans un contrat avec la municipalité. »
S’appuyant sur les procès-verbaux de la municipalité constatant le vote de madame Saucier, la PGQ a soumis sa requête en déclaration d’inhabilité à la Cour, arguant notamment que cette dernière devait présumer, sur la base de ces documents et sur le fait qu’il s’agissait de son conjoint, que celle-ci avait un intérêt pécuniaire indirect dans ces contrats.
Le Tribunal a rejeté cette prétention en rappelant que la loi ne créait pas une telle présomption et que la preuve soumise par la PGQ ne rencontrait pas son fardeau de preuve à la lumière du texte de l’article 304 LÉRM et de la jurisprudence.
Le Tribunal a pris en considération que madame Saucier était, au moment des votes, autonome financièrement et qu’elle ne retirait aucun bénéfice ou avantage de ces contrats, dont la valeur est, somme toute, limitée. Le Tribunal a aussi rappelé que l’intérêt en question doit être pécuniaire et être réel et non purement hypothétique. Cet intérêt, selon la jurisprudence, doit aussi être personnel au membre du conseil concerné.
Enfin, le Tribunal a résumé ainsi les quatre (4) critères requis pour conclure à la violation de l’article 304 LÉRM :
1) Il doit exister un contrat avec la municipalité ;
2) L’intérêt direct ou indirect du membre du conseil doit être démontré ;
3) Le membre du conseil concerné doit connaître l’existence de ce contrat ou l’existence de son intérêt dans ce contrat ;
4) Le contrat doit le placer en conflit d’intérêts face aux intérêts de la municipalité.
En conclusion, on constate donc que malgré sa rédaction, l’article 304 LÉRM commande une preuve convaincante de la part du requérant de ces quatre (4) critères pour en arriver à une déclaration d’inhabilité. Il n’en demeure pas moins qu’un membre du conseil doit tout de même, et toujours, procéder à une analyse complète et honnête de la situation pour éviter de contrevenir à cette disposition car, n’oublions pas, qu’en cas de contravention, la sanction est sévère et l’empêchera de participer à la vie démocratique de toute municipalité pour cinq (5) ans.
[1] 2015 QCCS 3866, 29 juin 2015, juge Jocelyn Geoffroy, j.c.s.Cet article a été publié sur le site Québec Municipal le 18 septembre 2015