Le 21 novembre 2016, dans un texte publié dans « La Procédure », nous abordions la question des cautionnements personnels donnés dans le cadre d’ouvertures de comptes et de demandes de crédit. Ces cautionnements sont habituellement signés par des employés de la direction ou des administrateurs qui acceptent de payer en lieu et place de l’entreprise pour laquelle ils travaillent dans l’éventualité que cette dernière ferait défaut de payer. Ce genre de clause est relativement usuel dans une multitude d’industries, dont celle de la construction.
Dans notre article précédent, nous mettions en garde quiconque qui inclut ce type de cautionnement dans son ouverture de compte ou sa demande de crédit qu’il est généralement interprété comme ayant été donné « dans le cadre de l’exercice de fonctions particulières »[1]. Autrement dit, la personne qui a accepté de se porter caution des obligations de son employeur/entreprise l’a fait précisément puisqu’elle est à l’emploi de cette entreprise. Dans ce cas, à moins d’indications contraires expressément prévues dans la clause de cautionnement, dès que la caution aura cessé de travailler pour l’entreprise cautionnée, son cautionnement personnel prendra fin automatiquement pour l’avenir. La caution ou l’entreprise cautionnée n’ont même pas à aviser le bénéficiaire du cautionnement[2]. Il s’agit de l’application de l’article 2363 du Code civil du Québec qui entre en jeu.
Une autre question épineuse relativement aux cautionnements donnés dans le cadre d’ouvertures de comptes est celle des « deux signatures ». Effectivement, il existe autant de modèles d’ouvertures de compte que d’entreprises vendant des biens ou offrant des services à crédit. Certaines ouvertures de comptes contiennent un grand nombre de termes et conditions, dont une clause prévoyant que le signataire du document engage autant l’entreprise que lui-même à titre de caution. D’autres demandes de crédit prévoiront deux endroits distincts pour signer et ce, pour le même signataire, soit un endroit pour signer à titre de représentant de l’entreprise et un autre pour signer à titre de caution.
Préparer un modèle d’ouverture de compte contenant une clause de cautionnement personnel est toujours un exercice périlleux. S’affrontent ainsi deux considérations importantes :
- L’obligation de transparence voulant que les termes de l’ouverture de compte doivent être suffisamment clairs pour que le signataire du document comprenne qu’il engage non seulement son entreprise, mais aussi lui-même personnellement en signant à titre de caution ;
- Le fait de ne pas vouloir effrayer le signataire en mettant trop d’emphase sur le fait qu’il sera tenu personnellement responsables des dettes de l’entreprise pour laquelle il signe à titre de représentant ;
Il importe de mentionner que la Loi est claire : le cautionnement ne se présume jamais; il doit être exprès[3]. Effectivement, les tribunaux ont maintes et maintes fois répété que la volonté de s’engager envers un créancier à remplir l’obligation du débiteur à titre de caution doit être claire et non équivoque[4]. Dans les circonstances, pour être valide, est-ce qu’un cautionnement lié à une ouverture de compte (application de crédit, demande de crédit, contrat) doit faire l’objet d’une page distincte ou d’une signature distincte par laquelle le signataire s’engage aussi comme caution, ou est-ce qu’une seule signature pour la compagnie et le cautionnement personnel est valide ?
Au tournant des années 2000, un courant jurisprudentiel important est apparu en vertu duquel les tribunaux exigèrent que le cautionnement fasse l’objet d’une signature distincte afin que le consentement de la caution soit éclairé et indéniable[5]. Il devint conséquemment souhaitable d’inclure une section distincte pour le cautionnement et ce, malgré qu’il n’y ait aucune disposition dans le Code civil du Québec prévoyant cette exigence de forme.
Or, dans un jugement récent[6], la Cour d’appel du Québec avait à analyser un cautionnement qui était inclus dans une ouverture de compte contenant une seule signature. L’ouverture de compte en question prévoyait une multitude de clauses s’appliquant à l’entreprise désireuse d’obtenir du crédit. Les deux dernières clauses se lisaient ainsi :
« 7. Cautionnement. Dans l’hypothèse où le client est une personne morale, ses officiers, administrateurs, actionnaires, ou représentants signataires des présentes déclarent être autorisés à agir pour et au nom de la personne morale et ils s’engagent personnellement, conjointement et solidairement avec la personne morale au paiement de tout compte en souffrance, des intérêts et dommages et intérêts liquidés s’il y a lieu, renonçant au bénéfice de discussion et de division.
- Le client certifie que toutes les informations susmentionnées sont véridiques, déclare avoir lu, compris et reçu du vendeur s’il y a lieu toutes les explications nécessaires relativement aux conditions prévues aux présentes et déclare qu’aucune autre représentation ne lui a été faite.
Signé à_____ce__ième jour de______19__
Signature____________________ »[7]
Dans son jugement, la Cour d’appel du Québec a conclu que la clause de cautionnement était effectivement intelligible et compréhensible et que dans les circonstances de cette affaire, elle était suffisamment claire pour engager la responsabilité personnelle du signataire à titre de caution.
Il va de soi que tout dossier judiciarisé portant sur la compréhension d’un cautionnement personnel sera analysé par le tribunal en fonction des faits particuliers de ce dossier. Dans les circonstances, nous ne pouvons affirmer que toute ouverture de compte comportant une clause de cautionnement sera valide même s’il y a qu’un seul endroit pour signer tant comme représentant de la compagnie qu’à titre de caution personnelle. Par contre, il nous semble assez clair qu’en rendant ce jugement, la Cour d’appel du Québec confirme très clairement qu’il n’y a aucune formule sacramentelle pour qu’un cautionnement soit valide et que s’il est suffisamment détaillé et intelligible, il sera opposable au signataire de l’ouverture de compte, même si cette dernière prévoit qu’un seul endroit pour signer.
Si vous avez des questions ou désirez faire analyser vos ouvertures de comptes, applications de crédit ou contrats afin d’assurer leur conformité à la législation et la règlementation en vigueur, n’hésitez-pas à contacter Me Maxime Pridmore.
[1] Article 2363 du Code civil du Québec
[2] GE Financement commercial aux détaillants c. Modern Warehousing (1983) LTD., B.E. 2005BE-579 ; Pétroles Bélisle & Bélisle inc. c. Grenon, J.E. 2011-130
[3] Article 2335 du Code civil du Québec
[4] Toitures PLC inc. c. Gestion immobilière Rouillard inc., 2006 QCCS 5165 ; Perron c. Croisières Louisiane inc., J.E. 93-1523 ;
[5] Distribution Denbec inc. c. Gendron, B.E. 2000BE-858 ; Pétroles Sherbrooke inc. c. Boutin, SOQUIJ AZ-50145973 ; 141517 Canada inc. c. 9070-5526 Québec inc., SOQUIJ AZ-50187927 ; Leisure Products ltée c. Mode Impact inc., SOQUIJ AZ-50187574 ;
[6] Emco Corporation c. Surprenant, 2017 QCCA 2065
[7] Idem, para 12