Les administrateurs d’une société par actions, ou encore très fréquemment appelée « compagnie », ont l’obligation de veiller à ce que les employés de la société qu’ils administrent reçoivent la rémunération leur étant due. En effet, la législation entourant la responsabilité des administrateurs pour salaires impayés a été mise de l’avant avec l’objectif de protéger les employés contre la négligence et l’abus de confiance des administrateurs<1>.
L’administrateur visé
Tant la loi fédérale que la loi provinciale sur les sociétés par actions prévoient que l’administrateur d’une telle société est responsable du paiement du salaire des employés de la société qu’il administre<2>. Il est important de comprendre que la notion d’administrateur est largement interprétée et très inclusive. En effet, la responsabilité pour salaires impayés incombe à trois types d’administrateurs. Tout d’abord, l’administrateur qui agit comme tel, dans les faits, et qui se retrouve inscrit comme exerçant cette fonction dans le livre des procès-verbaux et résolutions de la société ainsi qu’à l’État des renseignements pour cette société au registre des entreprises est responsable des salaires impayés. Ensuite, toute personne qui agit comme un administrateur dans les faits, mais dont le nom n’apparait pas à ce titre au livre de la société ou à l’État des renseignements pour cette société est, elle aussi, responsable du paiement des salaires impayés. Enfin, l’administrateur qui, au contraire, n’agit pas en réalité comme administrateur, mais dont le nom apparaît comme tel, par exemple au livre de la société et à l’État des renseignements pour cette société pourra être tenu responsable des salaires impayés des salariés de la société.
Étendue de la responsabilité pour salaires impayés
Les administrateurs sont solidairement, et non conjointement, responsables des salaires impayés par la société en défaut de paiement. En effet, chaque administrateur est personnellement responsable pour l’entièreté des sommes dues par la société qui n’a pas payé les salaires, et ce, jusqu’à concurrence de « six mois de salaires impayés »<3>. Cette période de six mois est une période maximale pour laquelle les administrateurs peuvent être tenus responsables. Donc, si la rémunération d’un employé n’a pas été versée par la société en défaut durant une période de trois mois, l’administrateur est responsable pour cette période seulement. Or, si un employé est impayé depuis une période de dix mois, la responsabilité de l’administrateur est limitée à la période de six mois établie par la loi.
La notion de « salaires impayés »
Le terme « salaire » auquel réfère la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi sur les sociétés par actions (Québec) dans les dispositions concernant la responsabilité des administrateurs pour salaires impayés englobe, entre autres, toute rémunération gagnée par un employé, dont les commissions, les remboursements de dépenses, les bonis, les vacances, les congés mobiles, les heures supplémentaires, les bénéfices marginaux ainsi que les cotisations syndicales<4>. Certains autres types de rémunération peuvent être compris dans cette notion de « salaire » selon les circonstances de chaque affaire. Au surplus, les administrateurs poursuivis peuvent être tenus d’assumer les intérêts sur les salaires impayés ainsi que les frais engagés par les employés pour poursuivre la société et exécuter le jugement contre celle-ci<5>.
Conditions préalables à l’existence de la responsabilité de l’administrateur
L’employé désirant poursuivre un administrateur en ce qui a trait à sa responsabilité pour salaire impayé doit remplir certaines exigences. De façon générale, le poursuivant doit être en mesure de prouver la relation d’emploi, la prestation des services rendus à la société négligente et la dette de cette société envers lui. Plus précisément, la personne qui prend un tel recours doit être considérée comme un « employé » au sens des lois corporatives provinciales et fédérales. C’est-à-dire, une personne physique dont la position dans la société pour laquelle il travaille ne lui permet pas de juger d’une manière éclairée de la véritable situation financière de la société et dont les activités au sein de la société relève du contrôle de celle-ci<6>.
Pour l’exercice de ce recours, selon les règles provinciales, l’employé doit préalablement poursuivre la société en défaut à l’intérieur d’un délai d’une année à compter du jour où sa créance devient exigible<7>. Au fédéral, le délai est plutôt réduit à six mois<8>. En second lieu, il faut que l’employé, par suite de l’exécution du jugement, ait été dans l’impossibilité de recouvrer une partie ou la totalité des sommes qui lui sont dues. Ce recours pour salaire impayé contre un administrateur, tant selon la loi provinciale que fédérale, est possible exclusivement lorsque ces deux événements sont réalisés.
Maintenant, lorsque les deux conditions précitées sont rencontrées, les règles provinciales dictent que le recours contre l’administrateur doit être entrepris dans les trois ans suivant l’avènement de ces deux conditions<9> alors qu’au fédéral, l’administrateur demeure responsable de cette dette tant et aussi longtemps qu’il demeure à son poste d’administrateur et s’il quitte cette fonction, il est responsable pour une durée de deux ans suite à son départ<10>.
Moyens de défense de l’administrateur
L’administrateur dispose de certains moyens de défense à faire valoir à l’encontre de cette responsabilité pour salaires impayés. Principalement, la défense de « diligence raisonnable » lui est offerte afin d’être déchargé de sa responsabilité personnelle pour salaires impayés par la société<11>. Considérant les termes de la loi, l’administrateur qui, de bonne foi, s’est fié à des données présentées par un dirigeant ou un comité fiable chargé du paiement des salaires, qui lui démontre que ce paiement a véritablement été effectué, pourrait être considéré avoir agi de façon prudente et diligente dans les circonstances<12> et pourra être exonéré de sa responsabilité pour salaires impayés. D’autres moyens de défense plus spécifiques sont ouverts aux administrateurs selon les circonstances de chaque cas.
<1> Girard c. Breault, (1986) R.J.Q. 372 (C.S.), p. 379.
<2> Loi sur les sociétés par actions, L.R.Q., c. S-31.1, art. 154; Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44 art. 119.
<3> Loi sur les sociétés par actions, préc. note 2; Loi canadienne sur les sociétés par actions, préc. note 2.
<4> Paul Martel, Administrateurs de corporations sans but lucratif : le guide de vos droits, devoirs et responsabilités, Wilson et Lafleur, 2007, p. 56.
<5> Alvarez. Lacasse, 2015 QCCQ 5399I, par. 57.
<6> Barrette c. Crabtree (Succession de), [1993] 1 RCS 1027, p. 1042.
<7> Loi sur les sociétés par actions, préc. note 2.
<8> Loi canadienne sur les sociétés par actions, préc. note 2.
<9> Pires c. Zaccheo, 1998 CanLII 12495 (QC CA), p. 32.
<10> Loi canadienne sur les sociétés par actions, préc., note 2.
<11> Loi sur les sociétés par actions, préc., note 2, art. 158; Loi canadienne sur les sociétés par actions, préc., note 2, art. 122.
<12> Paul Martel, préc., note 4, p. 66.