Les municipalités du Québec sont confrontées, dans l’application de leur règlement d’urbanisme, à intenter des procédures judiciaires afin de faire respecter cette réglementation d’ordre public. Dans tous ces cas d’ordonnance en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, les municipalités sont confrontées aux coûts reliés à l’institution de telles procédures.
Or, de nombreux cas opposent alors des citoyens récalcitrants et informés de la réglementation ou encore ceux qui utilisent l’approche du « fait accompli » forçant ainsi la main des autorités municipales à procéder judiciairement.
Devant ces contribuables qui font fi de la réglementation, les municipalités, jusqu’à tout récemment, ne bénéficiaient pas d’une jurisprudence concluante permettant de s’adresser à la Cour pour éponger une certaine partie des frais reliés non pas à l’exécution de l’ordonnance obtenue, mais pour compenser les honoraires engagés pour l’institution même de ces procédures.1
Or, récemment, dans la décision Notre-Dame-de-la-Merci (Municipalité de) c. Desjardins2, la Cour supérieure ouvre une avenue aux municipalités afin de récupérer une partie des honoraires requis pour intenter une procédure en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme visant le respect des règlements municipaux.
Dans cette décision, la Cour établit avec un raisonnement soutenu une distinction permettant de demander des dommages-intérêts pour compenser les frais reliés à l’application de la réglementation municipale, et ce, sans recourir aux principes émis par l’arrêt Viel qui sanctionne l’abus de droit d’ester en justice par l’octroi de dommages. Le Tribunal, dans la décision Notre-Dame-de-la-Merci, conclut donc à des dommages consécutifs à la commission d’une faute par le défendeur.
La municipalité réclame des dommages de plus de 52 000 $ représentant les honoraires déboursés pour faire respecter sa réglementation, et ce, dans le contexte où le citoyen a posé des gestes à l’encontre de ladite réglementation alors qu’il était avisé qu’il ne pouvait le faire.
Lors de l’audition sur la requête en cessation d’usage dérogatoire, le citoyen indique alors au juge qu’il est prêt à faire les travaux correctifs dans la bande riveraine. Le citoyen réalise en grande partie les travaux de renaturalisation. La municipalité continue néanmoins sa procédure initiale pour le volet des dommages réclamés.
La Cour relate que les procédures ont un impact financier important pour la municipalité de 1 100 habitants. De l’ensemble de la preuve, le Tribunal retient « qu’au moment de réaliser les travaux, le défendeur est dûment avisé de la teneur de la réglementation en vigueur en matière de protection des rives. Il sait qu’il lui est interdit de faire la coupe des arbres en bordure de la rivière et d’aménager un escalier et terrasse comme il le fait. Ce dernier agit en toute connaissance de cause. » Le Tribunal établit que le citoyen fait fi des demandes de la municipalité, de la réglementation applicable et qu’il choisit d’appliquer la politique du « fait accompli ».
Le Tribunal considère que le comportement du citoyen a causé des dommages à la municipalité et que cette façon de faire « constitue une faute civile ». Le juge poursuit en mentionnant qu’« en droit civil, celui qui agit en vue de nuire à autrui ou celui qui en prétendant exercer un droit agit de manière excessive ou déraisonnable commet une faute susceptible d’engager sa responsabilité civile. »
Le Tribunal mentionne que devant un tel comportement du citoyen qui bafoue en toute connaissance de cause la réglementation, la municipalité se devait d’agir ou à tout le moins, que son choix d’agir dans les circonstances était tout à fait raisonnable et qu’« une partie des dépenses engagées par la demanderesse était nécessaire et justifiée et est une conséquence du comportement fautif du défendeur. »
Procédant à analyser le lien causal nécessaire à l’établissement de la responsabilité du citoyen, le Tribunal conclut que « les dommages réclamés, en l’occurrence les honoraires d’avocats et d’ingénieurs nécessaires pour forcer le défendeur à respecter la réglementation, sont une suite directe, logique et immédiate de la faute reprochée au défendeur » et que celui-ci pouvait raisonnablement prévoir que la municipalité devait agir et engager des déboursés pour faire respecter sa réglementation. Le Tribunal exerçant sa discrétion accorde en partie les dommages réclamés.
Cette décision marque, selon nous, un point tournant dans l’approche que doivent prendre les municipalités lorsque celles-ci sont forcées de voir à l’application d’un règlement municipal. En effet, lorsqu’une série de facteurs se retrouvent réunis comme ceux mentionnés dans cette affaire, la municipalité peut entrevoir de demander le remboursement de certains dommages directement reliés à l’institution de procédures judiciaires visant le respect de sa réglementation.