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Québec municipal

La prescription en matière municipale

21 septembre 2023

La question de la prescription est certainement l’un des premiers aspects à vérifier dans un dossier litigieux, puisqu’ayant une incidence sérieuse sur les droits que pourraient faire valoir les parties. Prévue dans le Code civil du Québec, la prescription est ce qui permet d’acquérir un droit ou de le voir s’éteindre par le seul écoulement du temps. Elle est d’une durée variable selon le domaine de droit, par exemple d’un an en matière de diffamation, de trois ans en responsabilité civile, de 10 ans pour un immeuble.

En matière municipale, la Loi sur les cités et villes1 et le Code municipal2 dérogent spécifiquement à la prescription de trois ans pour les poursuites en dommages-intérêts, l’écourtant à une prescription de six mois. La jurisprudence a fait couler beaucoup d’encre sur la façon de calculer le point de départ de la prescription, mais une chose demeure irrévocable : les trois éléments de la responsabilité doivent s’être réalisés et coexister, soit la faute, le préjudice et le lien de causalité entre les deux. Une fois ces trois éléments déterminés, la seconde étape consistera à définir le type de préjudice causé.

Il existe trois grandes catégories de préjudices, desquelles vont découler des sous-catégories. Il s’agit des préjudices moraux, corporels et matériels. Il est important de noter qu’en ce qui concerne le préjudice corporel, le Code civil du Québec a prévu que la prescription demeurerait de trois ans, et ce, malgré toute disposition à l’effet contraire3. La prescription de six mois prévue en matière municipale ne s’appliquera donc qu’aux préjudices moraux et matériels.

La distinction entre le préjudice moral et le préjudice corporel peut poser une certaine difficulté, car la frontière les départageant n’est pas toujours nette. En effet, la jurisprudence a déterminé que certains préjudices moraux pouvaient entrer dans la catégorie du préjudice corporel, faisant en sorte que la prescription ne sera pas de six mois, mais bien de trois ans.

Dans Andrusiak c. Montréal (Ville)4, la Cour d’appel a ainsi déterminé que tout préjudice moral consécutif à une atteinte à l’intégrité physique entre dans la catégorie du préjudice corporel, puisqu’il faut voir le corps humain comme un tout.

[17] Dans le présent dossier donc, comme mon collègue, je n’ai pas d’hésitation, suivant ainsi la jurisprudence dominante, à dire qu’une atteinte psychologique aussi légère soit-elle consécutive à une atteinte physique au corps humain doit rentrer dans cette catégorie. La personne humaine doit, en effet, être considérée comme un tout, c’est-à-dire dans son aspect matériel (le corps, la santé physique), mais aussi dans son aspect psychologique ou immatériel (le bien-être, la santé mentale). Dès qu’il y a donc atteinte à l’intégrité physique d’un individu, quelle qu’elle soit et quel que soit son degré, et que celle-ci entraîne des conséquences sur le plan psychologique, il y a préjudice corporel au sens de la loi.

Dans Lévesque c. Carignan5, la Cour d’appel indique que tout préjudice corporel comporte nécessairement une atteinte à l’intégrité, et que la notion d’intégrité doit être interprétée de façon souple, pouvant notamment inclure le choc nerveux. Citant l’arrêt Schreiber c. Canada6, la Cour précise par ailleurs qu’un préjudice purement moral n’entrera pas dans le concept de préjudice corporel. Dans cet arrêt, Schreiber poursuit en dommages pour souffrance morale, privation de liberté et atteinte à la réputation en raison de son arrestation et de sa détention illégale.

Le plus haut tribunal du pays détermine alors :

49. Je conviens avec l’intervenante qu’il est concevable que certaines formes d’incarcération constituent des violations des droits de la personne reconnus sur le plan international, comme les peines exagérément longues ou les conditions abusives. Cependant l’incarcération fait légitimement partie du système judiciaire canadien. Sans preuve de préjudice physique, conclure que l’incarcération légale constitue un préjudice moral donnant lieu à indemnisation reviendrait à admettre que chaque détenu du système pénal canadien a droit à des dommages intérêts de la part de l’État.

Plus récemment, la Cour supérieure s’est de nouveau prononcée sur cet aspect, dans Beauregard c. Ville de Montréal7. Les défenderesses y invoquent au stade préliminaire l’abus de procédure ainsi que la prescription du recours contre la municipalité, intenté un peu plus de deux ans après que la cause d’action aurait pris naissance. L’honorable juge Lalande indique qu’une demande en rejet ne sera accordée au stade préliminaire qu’exceptionnellement, lorsque l’abus sera flagrant et patent. Dans son analyse, le tribunal devra tenir pour avérés les éléments de preuve allégués au dossier, notamment le fait que le demandeur aurait reçu un diagnostic de trouble d’adaptation suivant les événements. Comme une preuve par expert reste à être faite afin de qualifier le préjudice, à savoir s’il s’agit d’un préjudice strictement moral ou corporel, la demande en rejet a été rejetée.

Enfin, la question de savoir si le préjudice moral allégué découle réellement de l’atteinte à l’intégrité physique sera une question de preuve soumise à l’appréciation du juge du fond, qui sera mieux à-même d’en évaluer le bien-fondé. Les juges seront donc réticents à accorder une demande en irrecevabilité à un stade préliminaire et en cas de doute, choisiront de s’abstenir.


1 Art 586
2 Art 1112.1
3 Art 2930
4 Andrusiak c. Montréal (Ville), 2004 CanLII 32989 (QC CA)
5 Lévesque c. Carignan (Corporation de la Ville de), 2007 QCCA 63 (CanLII)
6 Schreiber c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 62 (CanLII), [2002] 3 RCS 269
7 Beauregard c. Ville de Montréal, 2020 QCCS 4470 (CanLII)