Le 9 avril 2013, le projet de loi n° 10 est entré en vigueur, soit la Loi permettant de relever provisoirement un élu municipal de ses fonctions (ci-après la « Loi »). En modifiant notamment la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités<1> (ci-après la « LÉRM ») pour prévoir l’ajout à celle-ci des dispositions 312.1 à 312.7, la Loi a pour but de permettre la destitution provisoire d’un élu municipal faisant l’objet d’une poursuite intentée pour une infraction punissable de deux ans d’emprisonnement ou plus.
Ainsi, l’article 312.1 de la LÉRM prévoit notamment que :
« 312.1 La Cour supérieure peut, sur requête, si elle l’estime justifié dans l’intérêt public, déclarer provisoirement incapable d’exercer toute fonction liée à sa charge le membre du conseil de la municipalité qui fait l’objet d’une poursuite intentée pour une infraction à une loi du Parlement du Québec ou du Canada et punissable de deux ans d’emprisonnement ou plus.
[…]
Pour évaluer si l’intérêt public le justifie, la cour tient compte du lien entre l’infraction alléguée et l’exercice des fonctions du membre du conseil et de la mesure dans laquelle elle est de nature à déconsidérer l’administration de la municipalité. »
À ce jour, la Cour supérieure a rendu deux décisions suite à l’institution d’une telle requête, soit les affaires Boyer c. Lavoie<2> et Procureure générale du Québec c. Gingras<3>.
Dans l’affaire Boyer c. Lavoie, soit le premier recours entrepris en vertu de la Loi, une citoyenne souhaite faire déclarer le maire de la Ville de Saint-Rémi provisoirement incapable d’exercer ses fonctions en raison des sept chefs d’accusation auxquels il fait face, soit pour abus de confiance, fraude et complot.
Suivant l’analyse des chefs d’accusation, le tribunal considère que le premier critère établi à l’alinéa 3 de l’article 312.1 de la LÉRM, soit le lien entre l’infraction alléguée et l’exercice des fonctions de l’élu, ne pose aucune difficulté. En effet, plusieurs chefs d’accusation émis contre le défendeur concernent un abus de confiance commis par ce dernier alors qu’il exerçait ses fonctions de maire.
Le second critère, soit la déconsidération de l’administration municipale, est, quant à lui, de droit nouveau. Considérant que ce critère se rapproche grandement de la notion de « déconsidération de l’administration de la justice », le tribunal retient le test développé par la Cour suprême du Canada<4> pour circonscrire celui-ci, soit l’opinion de la personne raisonnable, objective et bien informée des circonstances de l’affaire. Suivant cette analyse, la Cour conclut que le maintien en poste du défendeur aurait inévitablement pour effet de déconsidérer l’administration de la Ville.
Par conséquent, la Cour supérieure a déclaré le défendeur provisoirement incapable d’exercer toute fonction liée à sa charge de maire de la Ville de Saint-Rémi. Nous soulignons que les enseignements de la Cour supérieure dans cette affaire sont fort intéressants puisqu’ils établissent notamment les paramètres d’application de cette Loi.
Nous précisons également qu’en vertu de l’article 312.3 de la LÉRM, le jugement rendu par la Cour supérieure n’est pas susceptible d’appel. Au surplus, bien que l’article 604.6 de la Loi sur les cités et villes<5><6> prévoit l’obligation pour la Ville d’assumer la défense d’un membre du conseil faisant l’objet d’une requête en vertu de l’article 312.1 de la LÉRM, l’article 312.6 de la LÉRM précise que le membre du conseil déclaré coupable de l’infraction ayant servi de fondement à un jugement en déclaration d’incapacité provisoire doit notamment rembourser à la Ville toutes dépenses encourues par celle-ci pour assumer sa défense, ainsi que toute somme reçue à titre de rémunération ou d’allocation de dépenses pour la période visée par sa destitution.
La seconde décision rendue en vertu des articles 312.1 et suivants de la LÉRM est la cause Procureure générale du Québec c. Gingras. Dans cette affaire, la Procureur générale du Québec requiert que le maire de la ville de l’Assomption soit déclaré provisoirement incapable d’exercer ses fonctions étant donné que celui-ci fait l’objet d’une accusation criminelle pour abus de confiance. Après avoir entendu les parties, la Cour supérieure rejette la requête de la demanderesse aux motifs que cette dernière n’a pas satisfait à son fardeau de preuve<7>.
En effet, la demanderesse avait soutenu devant la Cour qu’elle n’avait ni à alléguer, ni à prouver, les faits qui étaient reprochés à monsieur Jean-Claude Gingras. À son avis, le seul fait d’être accusé d’un acte criminel passible de deux ans d’emprisonnement était suffisant pour satisfaire aux critères établis par la LÉRM.
Or, la Cour supérieure n’est pas du même avis. La Cour rappelle que le législateur a confié à cette dernière la tâche de déterminer si un élu doit être provisoirement destitué de ses fonctions, et ce, selon des critères bien précis dont l’analyse exige nécessairement qu’une preuve des faits reprochés à l’élu soit présentée au tribunal. Ainsi, souligne la Cour, le législateur n’a pas prévu qu’un élu doit automatiquement être relevé de ses fonctions dès l’instant où celui-ci est poursuivi pour une infraction punissable d’une peine de deux ans d’emprisonnement ou plus.
En conclusion, il ressort des décisions précitées que les tribunaux appliqueront avec prudence les pouvoirs leur étant conférés par les articles 312.1 à 312.7 de la LÉRM, tout en ayant néanmoins à l’esprit l’objectif du législateur de préserver la confiance des citoyens envers leurs institutions municipales.
<1> RLRQ c. E-2.2.
<2> Boyer c. Lavoie, [2013] CanLII 4114 (C.S.).
<3> Procureure générale du Québec c. Gingras, [2014] CanLII 6150 (C.S.).
<4> R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265.
<5> RLRQ c. C-19.
<6> Article 711.19.1 dans le Code municipal du Québec, RLRQ c. C-27.1.
<7> La Cour supérieure précise qu’il faut ainsi déterminer si la requête énonce des reproches considérés comme graves et sérieux, si la preuve prima facie révèle que ces gestes auraient été commis et si l’intérêt public justifie de relever provisoirement l’élu de ses fonctions.
Cet article a été publié sur le site Québec Municipal le 22 janvier 2016.