Par définition, l’acte de zoner par la voie d’un règlement de zonage implique nécessairement une certaine forme de discrimination. En effet, la création de zones de taille variable à l’intérieur desquelles seuls certains usages précis sont permis a pour conséquence qu’un usage donné peut être autorisé à un endroit sur le territoire d’une municipalité et prohibé à un autre, indépendamment du fait que ces deux endroits puissent être situés très près l’un de l’autre. Il a ainsi été reconnu que les lois qui habilitent les municipalités à adopter un tel type de réglementation comportent un pouvoir implicite d’édicter des normes discriminatoires<1>.
Qu’en est-il cependant du zonage parcellaire (aussi appelé « spot zoning »), technique qui consiste en l’aménagement d’un régime spécifique d’usages pour une zone de dimensions restreintes, pouvant parfois comprendre un seul terrain ?
La jurisprudence reconnaît la légalité d’un tel outil, bien que son application en pratique puisse parfois mener à des résultats en apparence surprenants; cela ne signifie toutefois pas qu’une municipalité puisse y recourir de façon arbitraire, déraisonnable ou à des fins purement privées.
Dans une décision rendue le 5 février 2016<2>, la Cour d’appel du Québec a eu l’occasion de traiter du zonage parcellaire à l’occasion d’un litige mettant en cause la réglementation de la ville de Repentigny (ci-après la « Ville »).
Dans cette affaire, le défendeur Dansereau avait fait l’acquisition d’un bâtiment résidentiel qu’il avait rénové afin d’en convertir une partie en clinique médicale pour y exercer ses activités professionnelles (ci-après la « Clinique »). Le zonage en vigueur était à prédominance résidentielle et limitait à 30% la superficie du bâtiment pouvant être utilisée à des fins professionnelles.
Désirant étendre l’usage professionnel sur une plus grande superficie du bâtiment, le défendeur a déposé à la Ville une demande de modification de zonage.
Quelques mois plus tard, le conseil municipal de la Ville a amendé le règlement de zonage afin de détacher de la zone résidentielle l’immeuble et de l’intégrer à une zone nouvellement créée uniquement pour celui-ci, où seront désormais autorisés à la fois un usage à des fins résidentielles et un usage de services professionnels, lequel ne sera plus assujetti aux mêmes limitations de superficie.
Suite à cet amendement, un permis a été délivré à la Clinique autorisant celle-ci à agrandir le bâtiment dans le but d’y adjoindre une résidence pour le défendeur Dansereau et la défenderesse Soukriddy.
C’est alors que l’appelant, voisin mécontent de la situation, a entrepris un recours par lequel il demandait au tribunal de déclarer nuls, illégaux et inopposables à son égard ledit permis d’agrandissement et divers règlements de la Ville. Il demandait également de déclarer inopposable à son égard le règlement d’amendement précité et d’ordonner la démolition des travaux de construction et d’agrandissement ainsi que la remise en état des lieux.
Parmi les prétentions invoquées par l’appelant au soutien de son recours, celui-ci alléguait notamment que les modifications réglementaires adoptées par la Ville constituaient du zonage parcellaire illégal fait dans le seul intérêt privé des défendeurs.
Cet argument a été écarté tant par la Cour supérieure que par la Cour d’appel. Cette dernière, au paragraphe 32 de sa décision, indique en effet que :
« Le zonage parcellaire n’est illégal que s’il favorise des intérêts privés au détriment de l’intérêt public. Dans ces cas, le contrôle judiciaire s’exerce par l’évaluation des avantages publics d’une politique qui imposent des inconvénients à quelques-uns. Ainsi, les tribunaux n’interviendront pas s’il appert que la modification réglementaire adoptée par une ville se justifie par des motifs d’intérêt public. »
Cette notion d’intérêt public, maintes fois invoquée par les tribunaux en matière de droit municipal, constitue un élément central afin de juger de la légalité du zonage parcellaire dans un cas donné.
D’ailleurs, l’appelant soutenait devant la Cour d’appel que la juge de première instance lui avait erronément imposé le fardeau d’établir que le règlement en cause n’avait pas été adopté dans l’intérêt public. Cet argument a été rejeté par la Cour en ces termes :
« Lorsqu’une ville réglemente une activité ou un usage, elle est présumée agir dans l’intérêt public et de bonne foi. Il appartient donc à celui qui invoque la mauvaise foi, l’abus de pouvoir ou le fait qu’un règlement est déraisonnable d’en faire la démonstration. Force est donc de conclure que la juge n’a pas imposé un fardeau de preuve indu à l’appelant. »
Non seulement l’appelant n’a pas réussi à rencontrer un tel fardeau de preuve, mais la Cour d’appel constate que la juge de première instance avait devant elle des éléments lui permettant de conclure que :
« a) la modification du règlement de zonage avait pour objectif de permettre aux citoyens de bénéficier des services professionnels dispensés par Clinique;
b) la nouvelle zone se situe dans la continuité de la trame commerciale du secteur où se trouvent déjà un centre commercial et un édifice à bureaux sis devant la propriété de l’appelant;
c) la partie résidentielle de l’immeuble constitue une « zone tampon naturelle » avec la zone résidentielle;
d) le changement ne modifie pas l’usage déjà permis selon lequel un bâtiment résidentiel puisse aussi abriter une clinique médicale; (…) »
Par conséquent, à la lumière des éléments du dossier, le zonage parcellaire n’avait rien d’illégal.
Le fait qu’il ait pu favoriser des intérêts privés au passage n’est pas déterminant, dans la mesure où des motifs d’intérêt public justifiaient les modifications apportées à la réglementation municipale.
<1> Repentigny (Ville de) c. Jotanau inc., 2001 CanLII 18335 (QC CA).
<2> Froment c. Repentigny (Ville de), 2016 QCCA 227 (CanLII).
Cet article a été publié sur le site de Québec Municipal le 11 mars 2016.