Longtemps les municipalités ont souhaité pouvoir intervenir lors de l’implantation des systèmes d’antennes des compagnies de radiocommunication à des endroits nuisant, notamment, à l’aménagement harmonieux de leur territoire et à la santé et la sécurité des personnes résidant à proximité de ces infrastructures.
La Cour suprême du Canada dans l’affaire Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville) 2016 CSC 23 a toutefois récemment mis un terme à ce souhait des municipalités en décidant que les mesures prises par une Ville pour restreindre l’implantation d’un tel système d’antennes de radiocommunication à l’emplacement choisi par l’entreprise entrave l’exercice de la compétence exclusive du fédéral, et ce, peu importe les motivations légitimes de la Ville.
Dans cette affaire, la Ville de Châteauguay, partageant le même désir que plusieurs municipalités du Québec, souhaitait que Rogers érige son antenne de radiocommunication en zone industrielle plutôt qu’en zone résidentielle sur un terrain identifié par Rogers.
Face à cette situation, la Ville de Châteauguay, pour préserver l’aménagement harmonieux de son territoire ainsi que la santé et la sécurité de ses citoyens inquiets à l’arrivée imminente d’une telle infrastructure près des résidences, a imposé un avis de réserve pour fins de réserve foncière sur le terrain convoité par Rogers en zone résidentielle. Parallèlement, pour permettre néanmoins à Rogers d’implanter un système d’antennes sur son territoire, mais dans un secteur plus approprié, elle a également exproprié un terrain en zone industrielle, immeuble qui permettait d’ériger le système d’antennes comme le reconnaissait Rogers.
Afin de trancher le litige, la Cour suprême devait procéder à l’analyse du caractère véritable de l’avis de réserve imposé par la Ville. Elle devait ainsi déterminer si l’avis de réserve produisait des effets directs sur la compétence exclusive du fédéral en matière de radiocommunication ou si l’avis n’avait que des effets accessoires n’ayant pas pour résultat d’entraver les compétences fédérales.
La Cour suprême débute son analyse en précisant que le Parlement fédéral a une compétence exclusive en matière de radiocommunication, ce qui inclut le pouvoir de choisir l’emplacement des infrastructures de radiocommunication.
La Cour suprême est catégorique, tant les effets juridiques que pratiques de l’avis de réserve imposé par la Ville empêchaient l’entreprise d’ériger son système d’antennes sur le terrain de son choix.
Le caractère véritable de l’avis de réserve imposé par la Ville ne visait donc pas l’aménagement du territoire et les préoccupations de santé, mais plutôt le choix de l’emplacement du système d’antennes de radiocommunication, compétence exclusive du fédéral. La Cour suprême écrit également que « même si une telle mesure (l’avis de réserve) répondait à des préoccupations de santé soulevées par certains citoyens, elle usurpait sans aucun doute l’exercice de la compétence fédérale en matière de radiocommunication ».
Ainsi, la Cour suprême ferme clairement la porte aux municipalités afin d’intervenir dans le choix de l’emplacement des systèmes d’antennes de radiocommunication en écartant l’approche « souple et globale qui doit être favorisée et de la présomption relative à la validité d’une mesure provinciale ou municipale » en écrivant :
[…] la souplesse a ses limites et on ne peut, sous le couvert de cette approche, dénaturer le caractère véritable d’une mesure, au risque de restreindre sévèrement une compétence exclusive accordée au Parlement. En effet, conclure que le caractère véritable d’une mesure telle que celle adoptée en l’espèce est lié à un champ de compétence provinciale risquerait d’inciter les municipalités, en alléguant des intérêts locaux, à exercer de manière systématique la compétence fédérale de choisir l’emplacement des infrastructures de radiocommunication.
Quant à l’avis d’expropriation, il est intéressant de constater que la Cour suprême ne renverse pas la conclusion de la Cour d’appel<1> confirmant sa validité et qu’elle semble également ouvrir la porte au pouvoir d’expropriation des municipalités au bénéfice des entreprises détentrices de licence en reconnaissant que ces entreprises ne possèdent aucun pouvoir d’expropriation et qu’elles doivent, en principe, compter sur la collaboration des municipalités ou du ministère pour exproprier un terrain qu’elle convoite. À ce sujet, elle précise que :
En effet, lorsqu’une municipalité appuie un détenteur de licence de spectre en expropriant un terrain, le caractère véritable des mesures qu’elle entreprend n’est pas de choisir l’emplacement d’un système d’antennes, puisque cet emplacement a déjà été approuvé par le ministre conformément au pouvoir que lui confère l’al. 5(1) f) de la Loi sur la radiocommunication. Dans un tel contexte, la municipalité agit dans une perspective d’aménagement de son territoire, ce qu’elle a sans aucun doute le droit de faire d’un point de vue du partage des compétences.
Ainsi, la Cour suprême semble privilégier le soutien que les municipalités peuvent apporter aux entreprises détentrices de licence dans l’implantation des systèmes d’antennes. Les municipalités ont donc tout avantage à s’impliquer activement dans le processus de consultation établi par Industrie Canada, et ce, dès le début du processus afin de tenter de faire valoir sa vision de l’aménagement de son territoire et le soutien qu’elle pourrait offrir afin que ses intérêts puissent être pris en considération.
<1> White c. Châteauguay (Ville de), 2014 QCCA 1121 (CanLII)
Cet article a été publié sur le site de Québec Municipal.