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Incompétence en milieu de travail : l’employé détient-il le droit d’être réaffecté?

21 septembre 2023

Dans le domaine municipal, à l’instar de toute entreprise privée, l’incompétence d’un employé constitue l’une des problématiques les plus souvent rencontrées par un employeur en matière de gestion des ressources humaines.

Dans un cas d’incompétence involontaire, il est établi que le principe de progression des sanctions est inapplicable, l’objectif n’étant pas de punir l’employé en raison d’un comportement fautif, mais bien de lui fournir le support nécessaire afin de lui permettre de s’améliorer dans l’exécution de ses fonctions.

À ce titre, depuis de nombreuses années, les tribunaux québécois appliquent de manière systématique le test repris par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante[1] (ci-après « Costco »), lequel pose cinq (5) critères devant être respectés par l’employeur avant de procéder au congédiement administratif d’un employé pour incompétence :

  1. L’employé connait les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;
  2. Ses lacunes lui ont été signalées;
  3. Il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
  4. Il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
  5. Il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.

Or, un jugement récent de la Cour supérieure, rendu dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire d’une décision arbitrale, s’inscrit en marge de la jurisprudence dominante en la matière et ajoute un critère au test habituel de Costco, à savoir : l’obligation pour l’employeur de faire des efforts raisonnables pour réaffecter l’employé dans un poste alternatif compatible avec ses compétences avant de procéder à son congédiement.

Le jugement

Dans Commission scolaire Kativik c. Ménard[2], la Cour supérieure devait se prononcer sur la raisonnabilité du test juridique appliqué par un arbitre de grief à l’égard d’un employé qui contestait son congédiement administratif survenu en raison d’un problème de performance.

En première instance, le tribunal d’arbitrage avait fait droit au grief de l’employé et annulé le congédiement de celui-ci, étant d’avis que l’employeur avait agi de façon abusive, principalement en contrevenant à son obligation de trouver une solution alternative raisonnable à cette mesure.

Au soutien de sa demande en révision judiciaire, l’employeur invoquait que la décision de l’arbitre était déraisonnable en ce qu’elle imposait à l’employeur une obligation inexistante en droit du travail québécois, soit celle de réaffecter un employé incompétent plutôt que de le congédier.

Pour répondre à cette question, la Cour relate l’évolution du droit applicable en matière de congédiement pour incompétence, dont le test, énoncé 35 ans plus tôt en Colombie-Britannique dans l’affaire Edith Cavell Private Hospital c. Hospital Employee’s Union, Local 189[3], désigné sous le vocable de « test Edith Cavell ».

Le test Edith Cavell prévoit, en plus des critères énoncés dans l’arrêt Costco, l’obligation pour l’employeur d’entreprendre des efforts raisonnables afin de trouver un emploi alternatif à l’employé en fonction de ses compétences.

De l’avis du tribunal, le test Edith Cavell prévaut également au Québec, justifiant cette conclusion par l’interprétation qu’il fait de l’arrêt Costco et estimant que la Cour suprême du Canada avait accrédité ce test en 2004[4].[5]

Ainsi, selon la Cour, la tentative de réaffectation dans un autre poste est un critère additionnel à ceux énoncés dans l’arrêt Costco, devant tout autant être appliqué par les employeurs dans le cadre de la gestion d’un problème d’incompétence.

Soulignons qu’il s’agit d’une obligation de moyens, laquelle ne trouve pas application dans toutes les circonstances. Pensons par exemple aux municipalités de plus petite taille qui n’auront pas toujours de poste adéquat existant et disponible pour réaffecter un employé.

Comme cette décision fait l’objet d’une demande de permission d’appel depuis le 15 novembre 2017, il sera important de suivre ce dossier avec intérêt considérant l’impact non négligeable qui en découlera pour tous les employeurs du Québec.

[1] 2005 QCCA 788.

[2] 2017 QCCS 4686 (ci-après «Commission scolaire Kativik»).

[3] (1982) 6 L.A.C. (3d) 229.

[4] A.U.P.E. c. Lethbridge Community College, [2004] 1R.C.S. 727.

[5] Supra Commission scolaire Kativik, par.87 à 91.

 

Cet article a été publié également sur le site de Québec Municipal.