Dans une décision récente de décembre 2016 de la cour supérieure du Québec, Granger c. Montcalm<1>, l’Honorable juge Guy Cournoyer confirme que l’utilisation de l’outil de navigation virtuelle Google Street View est possible sous certaines conditions. Le juge Cournoyer siégeait en appel d’une décision de la cour municipale.
Dans le cadre de son procès à la cour municipale, le défendeur témoigne qu’il n’y avait aucun panneau de signalisation indiquant la limite de vitesse sur les lieux, ni aucun panneau de signalisation avancé de cette limite de vitesse. La preuve de l’installation d’un panneau indiquant la limite de vitesse fait partie d’un des éléments essentiels qui doivent être prouvés par la partie poursuivante et en déclarant cela, le défendeur contredit donc un élément crucial de la preuve. Une fois que le défendeur termine son témoignage, avec l’aide de Google Street View, le lieu de l’infraction est examiné avec l’objectif d’établir la présence du panneau de signalisation en question. Dans le cadre d’une contre-preuve, le policier authentifie les lieux et les images visionnés sur l’outil de navigation virtuelle ainsi que les photographies déposées par le défendeur et contredit ce dernier. Le défendeur a été déclaré coupable d’avoir circulé à une vitesse de 94 km/h dans une zone de 50 km/h et décide de porter en appel la décision à la cour supérieure.
En appel, le juge s’est penché sur la question à savoir si le juge de procès pouvait consulter l’outil de navigation Google Street View, séance tenante, après la fin du témoignage du défendeur afin de déterminer l’emplacement de la signalisation routière. L’admissibilité des images tirées de Google Street View ou des outils de navigation virtuelle similaires a soulevé plusieurs questions et la consultation de la jurisprudence « laisse paraître des incertitudes quant aux conditions d’utilisation de ces outils« . L’application de cet outil de navigation virtuelle présente des attributs de différents moyens traditionnels de preuve matérielle. Selon le juge Cournoyer, le visionnement des lieux à l’aide de Google Street View constitue l’équivalent moderne d’une visite sur les lieux<2>.
Lorsque la preuve concerne un élément essentiel qui a un impact direct sur l’issue du procès, soit le lieu de l’installation de la signalisation routière, ce sont les règles de la preuve relative à l’authentification de ce type de preuve matérielle qui s’appliquent à l’utilisation de Google Street View ou à la production d’une image tirée de cet outil et non les règles de connaissance d’office. Le juge de procès ne peut consulter une source de connaissance d’office lors de son délibéré pour des raisons d’équité procédurale. Par contre, l’authentification des images ou vidéos tirées de Google Street View doit être établie selon les principes formulés par la Cour Suprême dans R. c. Nikolovski<3>:
« Il est maintenant acquis que les mêmes règles d’admissibilité régissent la preuve audio, photographique ou vidéo, ces deux dernières étant le prolongement naturel de la preuve audio. Le juge devra tenir un voir-dire pour déterminer si, d’une manière prépondérante, on a démontré (1) que la preuve décrit bien la scène du crime, (2) qu’elle est présentée équitablement et sans intention de tromper, notamment qu’elle n’a pas été retouchée ou modifiée et (3) qu’un témoin peut attester de ces faits sous serment. »
L’authentification des images de Google Street View est essentielle puisqu’il faut s’assurer que celles-ci n’ont pas été retouchées, modifiées ou que les lieux représentés sur les images n’ont pas changé depuis les événements reprochés. C’est un outil qui est très intéressant et qui peut aider le tribunal mais on doit s’assurer que les images représentent bien les lieux au moment des faits.
En conclusion, lorsque l’établissement d’un fait concerne une question essentielle du procès, l’utilisation des images à partir de l’outil de navigation Google Street View est possible si elles font l’objet d’une authentification. De plus, si la partie poursuivante souhaite utiliser cet outil, les images doivent être communiquées à l’accusé avant le procès pour être compatibles avec le devoir de communication de preuve et surtout avant le témoignage du défendeur. Dans le cas de M. Granger, l’utilisation de l’outil de navigation Google Street View et la contre-preuve ne pouvaient être autorisées par le juge d’instance car il n’y avait pas de preuve nouvelle ni d’imprévu et donc un nouveau procès a été ordonné.
<1> Granger c. Montcalm (Municipalité de) 2016 QCCS 6008.
<2> Ibid par. 90-92.
<3> Ibid par. 100 et R. c. Nikolovski (1996) 3 R.C.S. 1197, par. 16, 17 et 28.