Depuis l’adoption de la Loi sur l’Éthique et la déontologie en matière municipale (c. E-15.1.0.1), les municipalités québécoises sont tenues, sauf exception, d’adopter un code d’éthique et de déontologie applicables à tous leurs élus.
Règle générale, ces codes prévoient notamment qu’un élu doit éviter d’agir de façon à favoriser, dans l’exercice de ses fonctions, ses intérêts personnels, ou d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.
La Commission municipale du Québec (ci-après la « CMQ ») a récemment été appelée à se pencher sur l’interprétation des termes « d’une manière abusive ». Nous avons donc cru opportun de faire un rapide survol de ces décisions afin de bien circonscrire l’état du droit actuel sur ce qu’est une « manière abusive ».
Dans l’affaire (Re) McHugh1, la municipalité de Lac-Beauport désirait procéder à l’extension des services municipaux d’aqueduc et d’égouts dans le secteur du Mont Cervin. Afin de faciliter la réalisation des travaux, il était suggéré de diviser le secteur en cinq phases, chacune d’elles regroupant un nombre déterminé de résidences. Il était également prévu que chacune de ces résidences soit tenue d’assumer, en partie, le coût des travaux.
Suite à son élection, le conseiller McHugh avait été désigné responsable des travaux publics. À la même époque, une nouvelle répartition des coûts, plus avantageuse pour les résidents de certaines phases, avait été proposée et adoptée avec l’appui de ce dernier.
Une plainte fut alors déposée par un ancien conseiller, lequel prétendait que M. McHugh, en tant que responsable des travaux publics, avait joué un rôle majeur dans cette décision, et ce, afin de prioriser, de manière abusive, les intérêts de certains résidents au détriment du reste de la population.
Dans sa décision, la CMQ mentionna qu’un comportement est considéré comme abusif lorsqu’il est excessif, immodéré, mauvais et sans égard à l’intérêt public. Les gestes reprochés doivent ainsi s’écarter « du comportement dont on s’attend normalement d’un élu municipal »2.
En l’espèce, M. McHugh n’avait pas agi de manière abusive. Au contraire, la répartition des coûts telle que proposée était permise par le Code municipal. Il était donc difficile de blâmer l’élu pour sa position, d’autant plus qu’il s’agissait d’une décision politique visant à faciliter la réalisation d’un projet d’intérêt public.
Dans les décisions Savoie (Re)3, Laurin (Re)4 et Martel (Re)5, la CMQ adopta une position fort semblable, affirmant qu’est abusif un comportement qui n’est pas normal, légal ou acceptable.
Cette dernière interprétation fut d’ailleurs reprise dans Pinsonneault (Re)6, alors que la CMQ devait déterminer si l’élu Pinsonneault avait illégalement favorisé les intérêts d’une entreprise privée, Agromex inc., dans le cadre de la conclusion d’une entente avec la municipalité d’Ange-Gardien. Fait à noter, M. Pinsonneault était, au moment des faits, l’employé d’une entreprise liée à Agromex inc.
Dans sa décision, la CMQ souligna que l’élu n’était intervenu dans le dossier que dans le cadre des délibérations du conseil municipal réuni en comité plénier et en séances publiques. De même, il n’avait subi aucune pression externe de la part de son employeur. Ainsi, rien dans la preuve ne permettait de conclure qu’il avait favorisé de manière abusive – anormale, illégale, inacceptable – les intérêts d’Agromex, quoiqu’une apparence de conflit d’intérêts pouvait subsister.
À ce titre, dans l’affaire Laferrière (Re)7, la CMQ rappelait que la conduite malhabile d’un élu ne constitue pas nécessairement un comportement abusif. Il doit plutôt être démontré que l’élu a tenté de procurer un avantage à une personne, et ce, d’une façon répréhensible. Ce peut être le cas, notamment, lorsqu’un élu fait pression sur un employé municipal afin que celui-ci adopte un comportement particulier au bénéfice exclusif d’un tiers.
À titre d’exemple, dans Lemay (Re)8, il était reproché à l’une des conseillères de Saint-Pierre-les-Becquets d’avoir, de manière abusive, favorisé les intérêts de sa fille, une employée municipale, en appelant la directrice générale afin qu’elle modifie son horaire de travail. Dans son jugement, la CMQ souligna ce qui suit :
« [91] Madame Lemay n’est pas une simple citoyenne défendant les intérêts de son enfant, embauché par la Municipalité. Elle est conseillère municipale et cela amène de fortes restrictions quant à ses interventions possibles, en raison des obligations déontologiques découlant de son statut.
[92] La directrice générale dit avoir ressenti de la pression provenant de Louise Lemay, lors de son appel téléphonique revendiquant plus d’heures de travail pour sa fille, qui doit payer sa voiture. La conseillère a démontré du mécontentement et adopté un ton incisif et impoli. [93] Son comportement est tout à fait inapproprié, puisque madame Lemay est conseillère municipale et ce statut lui donne une position d’autorité à l’égard de la directrice générale. [94] La Commission ne retient pas la version de madame Lemay qui dit avoir uniquement posé des questions à la directrice générale, lors de cet appel et être restée polie. [95] Soulignons d’ailleurs que son appel est intervenu très rapidement après que sa fille se soit plainte qu’elle n’aurait pas tous les samedis à la salle d’entraînement. »9
Un autre exemple fut donné dans la décision (Re) Demande d’enquête en éthique et déontologie concernant l’élu Alain Laplante10. Dans cette affaire, il était notamment reproché au maire de Saint-Jean-sur-Richelieu d’avoir abusivement favorisé les intérêts d’un ancien employé de la Ville, lequel avait intenté un recours en justice contre elle, en ayant fait adopter une résolution à son seul avantage. Dans sa décision, la CMQ souligna que :
« [75] Le maire se sert clairement du Comité exécutif de la Ville, au sein duquel siègent trois membres élus de son équipe, pour prendre des actions défavorables à la Ville. Ceci n’est pas un comportement acceptable. Le Comité exécutif n’est pas une instance pouvant agir à l’encontre des intérêts de la Ville qu’il administre. Il est certes autonome dans sa sphère décisionnelle, mais il doit se gouverner en fonction de l’intérêt public et ne pas servir à des fins partisanes, comme c’est le cas ici. Cette résolution constitue un plaidoyer franc et net en faveur de Guy Grenier, la partie adverse de la Ville.
[…] [77] La preuve établit que le maire a voté sur la résolution no CE-2018-05-0162 qu’il a lui-même initiée. Il a procuré d’une façon répréhensible un avantage à Guy Grenier et a agi de façon à favoriser abusivement les intérêts de ce dernier. Il n’est pas nécessaire que le vote du maire renverse la décision du conseil municipal; seul l’acte en soi est suffisant. »11
En regard de ce qui précède, il nous est permis d’affirmer qu’une certaine déférence est accordée aux élus municipaux qui, dans l’exécution de leur fonction, appuient un tiers de manière normale, légale ou acceptable. Cela peut notamment être le cas lorsqu’une décision prise légalement dans l’intérêt public a pour effet d’accorder un certain avantage à un groupe de citoyens.
L’élu municipal ne doit toutefois pas oublier qu’il n’est pas un « simple citoyen ». Conséquemment, il doit agir de façon très prudente et éviter de se placer dans une situation compromettante.
*Cet article a été préparé conjointement par Mes Patrice Gladu et Thomas Rainville.
1 Mc Hugh (Re), 2014 CanLII 78786, CMQ-65115 (28670-14).
2 Idem, para. 33.
3 Savoie (Re), 2013 CanLII 55252, CMQ-64348 (27600-13), par. 87.
4 Laurin (Re), 2013 CanLII 39742, CMQ-64349 (27472-13), par. 83.
5 Martel (Re), 2016 CanLII 48224, CMQ-65433 (29360-16), par. 71.
6 Pinsonneault (Re), 2015 CanLII 55943, CMQ-64255 (28982-15), par. 140.
7 Laferrière (Re), 2017 CanLII 61167, CMQ-65639 (29843-17), par. 61 et 62.
8 Lemay (Re), 2016 CanLII 65978, CMQ-65630 (29428-16).
9 Idem, par. 91 à 96.
10 (Re) Demande d’enquête en éthique et déontologie concernant l’élu Alain Laplante, 2019 CanLII 61413, CMQ-66841 (30558-19).
11 Idem, par. 75 à 77.