Le choix de la personne visée par une mise à pied ne peut être fondé sur ses restrictions fonctionnelles, tel que l’a récemment rappelé l’arbitre Me Francine Lamy dans la décision Association internationale des machinistes et travailleurs de l’aérospatiale, district 140 et Air Canada (Michael Palmer)[1].
Le plaignant, occupant le poste de mécanicien chez l’employeur, prenait de la médication pour soulager la douleur résultant d’un accident de travail antérieur. Son médecin lui recommandait de ne pas conduire de véhicule, en raison de la somnolence induite par cette médication. L’employeur l’accommoda en l’assignant à des postes où il n’avait pas à conduire.
En avril 2020, l’employeur procédait à une mise à pied technique en raison des réductions de personnel dû à la pandémie, qui perdura jusqu’en juin 2020. Pour déterminer quels seraient les employés mis à pied et lesquels bénéficieraient d’un rappel prioritaire, l’employeur prit en compte la présence ou l’absence de limitations fonctionnelles, maintenant au travail les salariés n’ayant aucune limitation. Le plaignant fut l’un des salariés mis à pied en raison de ses limitations fonctionnelles.
À la fin de la mise à pied à pied technique, l’employeur refusait le retour au travail du plaignant, malgré les dispositions de la convention collective stipulant que le rappel devait être effectué en fonction de l’ancienneté. L’employeur justifiait ce refus par la nécessité d’une évaluation préalable du plaignant par le service de santé et des relations de travail avant de reprendre le travail. Dans l’attente, le plaignant fut placé en congé sans solde, pendant un an.
Le syndicat qualifiait de discriminatoire le choix des employés concernés par la mise à pied et par le rappel. L’employeur soutenait qu’il était fondé de contrevenir à l’ordre de rappel prévu à la convention, alléguant que le maintien à l’emploi d’employés avec limitations fonctionnelles constituait une contrainte excessive.
Pour démontrer avoir fait l’objet d’une distinction discriminatoire, le salarié doit démontrer trois conditions[2] :
- posséder une caractéristique protégée par la Charte canadienne;
- avoir subi un effet préjudiciable relativement à son emploi et;
- établir que la déficience est le facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.
L’employeur reconnaissait avoir fondé sa décision sur les limitations fonctionnelles du plaignant, mais soutenait qu’il s’agissait d’une contrainte excessive. Pour justifier une telle décision, un employeur doit démontrer avoir appliqué une norme établie dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail, que cette norme est nécessaire pour réaliser ce but légitime et à laquelle le salarié ne peut satisfaire en raison de sa déficience[3]. Avant de conclure à l’existence d’une contrainte excessive, l’employeur a l’obligation procédurale de procéder à une analyse individualisée en prenant en compte les caractéristiques de l’entreprise, les besoins de l’employé et les circonstances particulières de chaque cas.
La preuve démontra que l’exigence professionnelle justifiée, soit la norme générale adoptée par l’employeur pour déterminer quels salariés seraient maintenus au travail ou rappelés, était tout simplement l’absence de déficience.
L’arbitre conclut que cette norme était discriminatoire, affirmant qu’« une telle généralité est l’essence de la discrimination que toutes les lois sur les droits de la personne veulent éradiquer. »[4]. Elle souligne également que la contrainte excessive ne se présume pas et qu’il revient à l’employeur de démontrer que les limitations du plaignant l’empêchent d’accomplir son travail et qu’il ne peut composer avec celles-ci sans contrainte excessive. En l’espèce, aucune analyse individualisée n’avait été effectuée avant la mise à pied du plaignant.
Quant à la décision de suspendre la prestation de travail du salarié sans salaire pendant une année dans l’attente de l’évaluation de sa condition médicale, l’arbitre souligne que pareille suspension doit être faite avec solde, sauf exception. De plus, le délai d’une année complète avant l’évaluation a été jugé déraisonnable, l’employeur étant tenu à une obligation de diligence et de bonne foi. Le processus aurait dû être plus rapide, et l’employeur aurait dû démontrer qu’il ne pouvait l’accommoder en réorganisant ses tâches entretemps[5].
Bref, cette décision réitère l’importante obligation de l’employeur de procéder à une analyse individualisée pour chacun des employés présentant une déficience, avant de conclure à l’existence d’une contrainte excessive.
[1] 2024 QCTAT 279.
[2] Id., par. 58-59.
[3] Id., par. 83.
[4] Id., par. 89.
[5] id., par. 129-130.