Les employeurs québécois ont maintenant une nouvelle obligation lorsque ceux-ci décident de mettre fin à l’emploi d’un employé incompétent. En effet, la Cour supérieure, au mois d’octobre dernier, a rendu une décision[1] qui aura un impact important sur les employeurs souhaitant se départir des services d’un salarié pour des motifs administratifs d’incompétence ou de rendement jugé insatisfaisant. À cet égard, ladite Cour a tranché qu’avant de procéder au congédiement administratif d’un employé, il était nécessaire que l’employeur déploie les efforts raisonnables pour réaffecter le salarié incompétent à un autre poste compatible avec ses capacités; rajoutant un critère additionnel à ceux (5 critères) déjà énoncés dans une décision de principe rendue par la Cour d’appel[2] il y a plus de dix ans.
Résumé des faits pertinents
Il y a une dizaine d’années, la Commission scolaire Kativik a embauché un employé pour effectuer un remplacement dans un poste de secrétaire-réceptionniste. L’année suivant son embauche, l’employeur lui a offert un poste permanent de secrétaire. Par la suite, en 2004, l’employé a obtenu un poste de technicien en administration.
À la lecture du jugement, il appert que pendant près de dix ans, la Commission scolaire n’a jamais adressé aucun reproche à l’employé en lien avec sa prestation de travail. Or, suivant l’arrivée d’une nouvelle direction en 2013, celle-ci a remarqué que la productivité de l’employé était problématique et que sa qualité du travail était déficiente.
Suivant ces constatations, la direction a décidé de soumettre l’employé à un plan d’amélioration de sa performance pour une durée de trois mois. Or, suivant ledit plan, il appert que l’employé a été incapable d’atteindre les objectifs fixés audit plan. Considérant les circonstances, la direction a donc décidé de muter l’employé à un poste de réceptionniste. La preuve a démontré que la direction lui a donné un délai de trois jours pour accepter ce poste or, l’employé a refusé cette offre. Suivant son refus, la Commission scolaire a donc congédié le salarié quelques semaines plus tard.
Décision de l’arbitre Me Jean Ménard
L’arbitre, Me Ménard, a soutenu que la Commission scolaire était justifiée de constater l’échec du plan d’amélioration de performance et l’incompétence de l’employé. Toutefois, l’arbitre a poursuivi son raisonnement en déterminant que le congédiement de l’employé était abusif puisqu’il appert que l’employeur a contrevenu à son obligation de trouver une solution alternative raisonnable au congédiement. Également, selon l’arbitre, donner un délai de trois jours à l’employé pour accepter le poste de réceptionniste était insuffisant. Suivant ce qui précède, Me Ménard a annulé le congédiement dudit employé.
Jugement de la Cour supérieure
La Cour supérieure a rejeté la demande de pourvoi en contrôle judiciaire présentée par la Commission scolaire à l’encontre de la sentence arbitrale. Essentiellement, le juge a basé sa décision en revisitant, tout d’abord, le test proposé par la Cour d’appel du Québec, en 2005, dans l’affaire Costco Wholesale Canada Ltd en matière de congédiement administratif pour incompétence. En effet, le juge a réitéré les cinq critères applicables en matière de congédiement administratif stipulés dans la décision Costco :
1) le salarié doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;
2) ses lacunes lui ont été signalées;
3) il a obtenu le support nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
4) il a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
5) il a été prévenu du risque de congédiement à défaut d’amélioration de sa part.
Par la suite, la Cour supérieure a confirmé qu’un sixième critère s’ajoutait au test proposé par la Cour d’appel du Québec en 2005. D’ailleurs, le juge a précisé que ce sixième critère s’appliquait depuis plusieurs années dans le reste du Canada et que les règles ne devraient pas différer entre le Québec et les autres provinces.
Ainsi, le Tribunal a confirmé l’application de ce nouveau critère qui exige qu’un employeur doit désormais prouver qu’il a déployé des efforts raisonnables pour réaffecter le salarié dans un autre poste compatible. Selon le juge, la décision de l’arbitre de griefs était donc raisonnable et le congédiement était injustifié.
Conclusion
Suivant la décision de la Cour supérieure, les employeurs doivent donc garder en tête le nouveau critère qui incombe à ces derniers une obligation de réaffectation, et ce, avant de procéder au congédiement d’un employé incompétent. Ainsi, dans le cas échéant qu’un congédiement est contesté devant les tribunaux, l’employeur devra donc démontrer qu’il a déployé des efforts raisonnables pour réaffecter l’employé au sein de l’entreprise.
Toutefois, nous tenons à préciser qu’il faut prendre en considération les faits particuliers du présent dossier puisque certains éléments dudit litige n’aidaient pas la cause de l’employeur (ancienneté, tolérance de son incompétence au cours des années, délai pour accepter le nouveau poste). D’ailleurs, la Cour supérieure a précisé que ce nouveau critère ne sera pas applicable dans tous les cas et que les caractéristiques du poste et de l’entreprise doivent être prises en considération.
Une requête pour permission d’en appeler a été déposée à l’égard du jugement de la Cour supérieure. Il sera donc intéressant de suivre l’évolution de ce dossier…
[1] Commission Scolaire Kativik c. Ménard Q.C.C.S. 4686 (CanLII)
[2] Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788 (CanLII)