En tant qu’administrateur de PME, quels critères doivent guider vos décisions, et en quoi la « gouvernance d’entreprise » pourrait-elle vous concerner ?
Plusieurs dispositions législatives viennent déjà régir votre conduite.
Le Code civil du Québec impose d’abord à l’administrateur d’une personne morale le devoir d’agir avec honnêteté, prudence, diligence, loyauté et transparence.<1> L’administrateur doit de même dénoncer tout conflit d’intérêt.
La Loi sur les sociétés par actions codifie également les obligations que l’administrateur a envers la société qu’il dirige.<2>
Enfin, si cette société n’est pas « fermée » au sens de la Loi sur les valeurs mobilières<3>, l’administrateur devra satisfaire à des obligations spécifiques d’information.
À ces devoirs généraux, s’ajoutent par ailleurs diverses obligations plus particulières, telle la responsabilité relative aux salaires impayés, au paiement des DAS, TPS et TVQ, etc.
Mais qu’est-ce qu’agir avec « prudence et diligence » ? Ces devoirs qui doivent guider votre conduite ont vu leur portée évoluer avec les années, tant en fonction de la juridiction sous laquelle la société a été constituée, que de certaines décisions de nos tribunaux.
En réponse à divers scandales qui ont marqué le monde des entreprises, on a vu se mettre en place des principes véhiculant des valeurs socialement souhaitables. Ainsi, on parle désormais de régie d’entreprise et de gouvernance, visant à assurer l’atteinte d’objectifs élevés en matière de transparence, d’intégrité et de responsabilité.
La notion de gouvernance, que l’on associe souvent à l’éthique, se rapporte à la manière dont vous administrez la société, aux valeurs que vous y véhiculez, aux différentes mesures que vous prenez afin d’en faire une meilleure entreprise. À titre d’exemple, on mettra en œuvre divers moyens, qui varieront forcément en fonction de la taille de l’entreprise : description des tâches du conseil d’administration, des dirigeants et des membres de la haute direction, normes de formation, gestion des risques, politique d’information, contrôle interne, création d’un comité d’audit, d’un comité de candidatures, d’un comité de la rémunération, nomination d’administrateurs indépendants, etc.
Tel que le mentionnait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wise<4> :
« L’établissement de règles de régie d’entreprise devrait servir de bouclier protégeant les administrateurs contre les allégations de manquement à leur obligation de diligence. »
Un administrateur prudent et diligent sera donc proactif et prendra les moyens requis afin de s’assurer qu’il dispose de toutes les informations utiles à la prise de décisions. À cet égard, l’arrêt Wise enseigne notamment que les administrateurs n’ont pas à être parfaits, mais qu’ils doivent prendre « … des décisions d’affaires raisonnables, compte tenu de ce qu’ils savaient ou auraient dû savoir.»<5>
De ce fait, il serait sage de documenter le tout afin d’établir, si requis, dans quelles circonstances une décision a été prise.
Notons ici que la loi provinciale présume que l’administrateur aura agi avec prudence et diligence si, de bonne foi, il s’appuie sur des informations, rapports ou opinions fournis, entre autres, par un dirigeant fiable, un conseiller juridique, un expert comptable, ou tout autre expert dans sa spécialité.<6>
Une fois que vous disposez des outils nécessaires à la prise de décision, vous devez agir dans l’intérêt de la société.
Il importe de préciser que l’administrateur n’est pas le mandataire des actionnaires, mais bien celui de la société.<7> Bien qu’il puisse parfois y avoir confusion dans les rôles lorsqu’il n’y a qu’un actionnaire, ou lorsque les actionnaires majoritaires sont administrateurs, abstraction devra être faite de tout intérêt personnel.
C’est de cette obligation fiduciaire que résulte pour l’administrateur le devoir d’agir de bonne foi, avec intégrité, dans le meilleur intérêt de la société.
Le manquement à cette obligation pourra permettre à un actionnaire lésé de requérir des tribunaux une ordonnance de redressement pour abus de pouvoir ou iniquité.<8>
Selon la Cour suprême :
« En déterminant ce qui sert au mieux les intérêts de la société, les administrateurs peuvent examiner notamment les intérêts des actionnaires, des employés, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l’environnement. »<9>
La Cour mentionne également que les administrateurs doivent prendre en compte tous les facteurs pertinents et traiter les parties impliquées de façon équitable. « … conformément aux obligations de la société en tant qu’entreprise socialement responsable».<10>
Bien qu’ils doivent en tenir compte, les administrateurs ne sont toutefois pas tenus d’analyser tous les impacts d’une décision sur les employés et dirigeants de la société.<11>
Pour les sociétés constituées sous le régime québécois, la Loi sur les sociétés par actions a réduit la responsabilité des administrateurs envers des tiers, telle qu’établie par la Cour suprême dans les affaires Wise et BCE, en précisant que l’intérêt de la société doit primer.<12>
Toutefois, force est de constater que ces concepts évoluent puisque, notamment, de nouvelles lois viennent modifier cette responsabilité. À titre d’exemple, la Loi visant principalement la récupération de sommes payées injustement à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publics,<13> établit une nouvelle responsabilité des administrateurs envers l’État.
De plus, les critères guidant les tribunaux dans l’appréciation de la conduite d’un administrateur en regard du régime général de la responsabilité civile<14> vont continuer de se modifier avec les valeurs de notre société.
Dès lors, on ne peut que recommander à un administrateur d’adhérer à des règles de gouvernance et d’éthique, et assurer la mise en œuvre et le respect de ces règles par la société qu’il administre.
S’il s’interroge sur la portée d’une décision qu’il s’apprête à prendre, l’administrateur sera présumé avoir satisfait à son obligation d’agir avec prudence et diligence si, de bonne foi, il s’est appuyé entre autres sur l’opinion d’un conseiller juridique.
<1> Voir notamment à cet effet les art. 321, 322, 323, 324, 325 et 2146 CcQ.
<2> Loi sur les sociétés par actions, L.R.Q. c.S-31.1, art. 119, 122 ss.; de façon générale, des dispositions similaires se retrouvent à la Loi canadienne sur les sociétés par actions [L.R.C. (1985) ch. C-44] qui régit les sociétés constituées sous le régime fédéral.
<3> RLRQ, c.V-1.1.
<4> Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise 2004 CSC 68, par. 64.
<5> Idem, par. 67.
<6> Loi sur les sociétés par actions, L.R.Q. c.S-31.1, art. 121.
<7> Art. 321 CcQ.
<8> Loi sur les sociétés par actions, L.R.Q. c.S-31.1, art. 450 ss.
<9> BCE inc. c. Détenteurs de débentures 1976, 2008 CSC69, par. 39ss.
<10> Idem, par. 82.
<11> Lemieux c. CDP Capital-Technologies Gestion inc., 2011 QCCS 3900 par. 139.
<12> Loi sur les sociétés par actions, L.R.Q. c.S-31.1, art. 119.
<13> LQ 2015, c.6.
<14> Art. 1457 CcQ.