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Droit des successions

La captation en droit des successions

16 avril 2025

Daigle, Justine

Article par :
Justine Daigle

En plus du deuil qui y est lié, une succession peut parfois aussi être synonyme de conflits et de litiges entre les proches du défunt.

Parmi ces conflits possibles se trouve la captation. Il y a captation lorsque la volonté du testateur a été viciée, qu’elle représente le fruit de manipulation ou de suggestion envers le testateur par l’auteur de la captation.

Le Code civil du Québec ne définit pas la captation, mais les tribunaux reconnaissent que la « jurisprudence la décrit comme étant une forme de dol qui se compose souvent d’un ensemble de manœuvres répréhensibles dans le but d’amener une personne à consentir une libéralité qu’elle n’aurait autrement consentie »[1].

Ainsi, la simple présence de manœuvres dolosives ou répréhensibles ne suffit pas pour conclure à la captation.

Pour qu’il y ait bel et bien captation, aussi parfois appelée suggestion indue ou pression indue, il faut que ces manœuvres soient déterminantes et qu’elles aient réellement influencé le consentement du testateur.

De plus, il n’est assurément pas illégal ou illicite de s’attirer les faveurs d’un testateur, même de manière intéressée, par du zèle, des marques d’affection ou de l’assiduité à ses côtés.

Cependant lorsque cette proximité devient forcée ou contrôlante et que l’auteur en profite pour s’emparer de la volonté du testateur et lui suggérer comment tester, alors la captation pourra certainement être envisagée.[2]

Un recours en captation pourra donc être institué par des proches du défunt qui jugent être les héritiers naturels ou légitimes de celui-ci afin d’attaquer la validité d’une disposition testamentaire, d’un leg particulier ou du testament entier du défunt par lequel la totalité ou une portion jugée déraisonnable de la succession est attribuée à une ou plusieurs autres personnes, qui sont à l’occurrence habituellement les auteurs et les responsables de la captation, quoique pas forcément.

Bien que moins fréquent, des recours en captation peuvent également couvrir des donations entre vifs[3]  (soit lorsque le donateur était toujours vivant), mais habituellement tout de même faites en fin de vie, exploitant la vulnérabilité du donateur.

La captation s’assimile également à la fraude puisqu’elle se manifeste généralement par « des mensonges, des calomnies, des tromperies, des ruses, ou des fausses déclarations délibérées »[4], on parle donc généralement de manœuvres frauduleuses qui induisent la captation.

D’ailleurs, dans les cas de recours en captation, la partie qui invoque la captation aura souvent une impression de s’être fait « voler » la succession, mais pas nécessairement qu’envers elle-même, mais aussi au nom de son proche décédé, que le défunt s’est fait manipuler puis voler, frauder, dépouiller de sa propre succession, le tout de façon contraire à ses réelles volontés.

Il faut toutefois être prudent, une rancœur, une amertume ou même un sincère sentiment d’injustice face à l’héritage que l’on reçoit ou à la façon dont le défunt a pu distribuer et léguer son patrimoine ne saurait faire ouverture, et encore moins succès, à un recours en captation.

Au Québec, la liberté de tester est un principe fort et reconnu par la loi[5] et les tribunaux et remettre en question les volontés d’un défunt n’est pas chose facile, surtout en gardant en tête que le principal intéressé ne pourra témoigner ou communiquer sa version des faits.

La partie qui invoque la captation doit en faire la preuve et démontrer que les manœuvres, telles que des ruses, des mensonges, de l’isolement ou des formes de contrôle, ont été déterminantes afin d’amener le testateur à signer un testament qu’il n’aurait pas signé en d’autres circonstances[6].

Cette preuve sera généralement faite par présomptions, soit en établissant que les faits graves, précis et concordants[7] corroborent la captation alléguée.

En effet, puisque la captation est habituellement un ensemble de manœuvres et de comportements faits envers le testateur de façon discrète, voire insidieuse, sur une période plus ou moins longue, et alors que le testateur est isolé et vulnérable, une preuve par présomption est normalement de mise pour pouvoir évaluer l’ensemble et la globalité de la situation et des actes commis afin de conclure ou non à de la captation.

Aux paragraphes 23 à 26 de l’arrêt Martel c. Charpentier[8], la Cour d’appel résume efficacement les grandes lignes concernant la preuve de la captation :

[23]      La volonté du testateur peut être viciée par des circonstances extérieures, mais la capacité de tester est présumée, même chez les gens âgés ayant une certaine fragilité. Ainsi, un testament pourrait être annulé au motif de dol, ou captation, « lorsqu’il y a eu des manœuvres frauduleuses et que celles-ci ont réellement provoqué la décision du testateur ».

 

[24]      Celui qui invoque la captation doit en faire la preuve. Il est acquis qu’une telle preuve se fera le plus souvent par présomptions, en raison du secret entourant les manœuvres qui doivent être prouvées et en l’absence du témoin qui en a été victime. La preuve présentée devra ainsi établir par présomptions de faits « graves, précises et concordantes » [sic] que des manœuvres dolosives ont influencé la décision du testateur. La preuve de la captation ne saurait s’établir en examinant isolément les actes des individus impliqués, mais plutôt en considérant leur comportement de manière globale.

 

[25]      De plus, si la preuve d’actes frauduleux est faite, encore faut-il démontrer que ceux-ci ont causé la modification ou la signature des dispositions testamentaires. De simples soupçons ne suffisent pas.

 

[26]      Afin d’évaluer l’impact qu’ont pu avoir les actes sur la confection du testament, le tribunal pourra notamment prendre en compte la capacité qu’avait le testateur à résister à de tels actes, eu égard notamment à son isolement et à son état de santé. Ainsi, les constats relatifs à la capacité du testateur pourront être pertinents au stade de l’analyse portant sur la captation. Ces deux moyens d’invalider un testament ne sont pas d’ailleurs incompatibles ou contradictoires.

 

[Références omises]

En considérant, encore une fois, que la captation se déroule généralement de façon sournoise et à l’abri des témoins, les circonstances et éléments penchant en faveur de démontrer de la captation sont variés et dépendront des particularités de chaque affaire.

Toutefois, dans M.P. c. F.D.[9] la Cour supérieure a fait une revue des jugements ayant conclu à la captation et a dressé la liste suivante, non exhaustive, des faits ayant déjà été retenus comme indice de captation :

  • l’avocat ou le notaire est choisi par l’héritier;
  • l’héritier joue un rôle actif dans la confection du testament notamment lorsqu’il donne lui-même les directives;
  • la personne désignée au testament est présente avec le notaire au moment du testament;
  • les héritiers potentiels ne sont pas avisés des hospitalisations ou de la vraie nature de la maladie du testateur;
  • les liens entre l’héritier désigné et le testateur s’intensifient et deviennent quasi exclusifs;
  • l’héritier obtient une procuration générale qu’il utilise que la situation le requiert ou non. Ce dernier confond les biens du testateur avec les siens et se place en conflit d’intérêts durant la gestion;
  • l’héritier ne rend pas compte de l’administration faite par lui des biens du donateur de son vivant ou en tant que liquidateur après décès;
  • le liquidateur s’empresse de partager les biens après le décès;
  • le testateur est vulnérable au moment ou durant la période qui précède le testament;
  • l’héritier s’immisce dans les affaires du testateur;
  • il existe entre l’héritier et les autres membres de la famille ou héritiers potentiels des tensions ou du ressentiment;
  • l’héritier avise tardivement les membres de la famille, du décès;
  • l’héritier isole le testateur et fait preuve d’une intention et de prévenance intéressée ainsi que d’altruisme;
  • l’héritier tente d’effacer de la mémoire du testateur les autres héritiers potentiels; par le retrait des cadeaux donnés par eux, le retrait de photos les représentant ou l’interception de correspondance;
  • l’héritier est nommé liquidateur;
  • avant le décès l’héritier reçoit des dons ou avantages;
  • un changement subit d’attitude du testateur s’opère face aux tiers et autres héritiers potentiels;
  • il y a omniprésence et influence de l’héritier auprès du testateur;
  • le testament reflète ce que l’héritier croit juste et légitime;
  • l’héritier calomnie les héritiers présomptifs et irrite le testateur contre ces personnes;
  • l’héritier fait état ou exagère sa situation économique difficile;
  • plus d’un testament ou codicilles sont préparés;
  • les membres de la famille et autres tiers ne sont pas avisés des funérailles qui sont tenues dans la plus stricte intimité afin d’éviter aux héritiers de répondre aux questions concernant le testament et pour conserver le maximum de capital dans la succession.

La période qui suit le décès d’un proche comporte son lot de difficultés et des remises en question peuvent survenir. N’hésitez pas à contacter notre équipe de professionnels juridiques si vous croyez que vos droits ou ceux du défunt ont été brimés.

[1] Voir notamment D.S. c. L.S., 2024 QCCS 4568, par. 72 et C.L. c. M. G., 2022 QCCS 3510, par. 99.  Voir également Stoneham and Tewkesbury c. Ouellet1979 CanLII 15 (CSC), [1979] 2 R.C.S. 172, p. 196 et s

[2] Ciarallo c. Ciarallo, 2007 QCCS 4937, par. 53

[3] Thivierge c. Thivierge, 2024 QCCA 54, par. 15

[4] Idem

[5] Article 703 du Code civil du Québec

[6] Delli Quadri c. Antonacci, 2018 QCCA 1466, par. 8

[7] Article 2849 du Code civil du Québec

[8] 2020 QCCA 1727

[9] 2019 QCCS 771, par. 38