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Droit municipal, public, scolaire et de la santé

Droit municipal

Les effets juridiques de dispositions législatives déclaratoires en matière d’expropriation déguisée

Par : Brunette, Jean-François

10 janvier 2025

L’adoption, le 8 décembre 2023, de la Loi modifiant la Loi sur la fiscalité municipale et d’autres dispositions législatives (L.Q. 2023, c. 33), a eu pour effet d’introduire les articles 245 à 245.6 dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (ci-après « LAU »), lesquels sont entrés en vigueur à cette même date et balisent le cadre juridique à l’intérieur duquel une municipalité peut être tenue d’indemniser un propriétaire suivant l’adoption de règlements d’urbanisme.

Le nouvel article 245 LAU se lit comme suit :

« 245.  L’accomplissement d’un acte prévu par la présente loi ne crée aucune obligation pour celui qui l’accomplit d’indemniser, en vertu de l’article 952 du Code civil, une personne qui subit, par l’effet de cet acte, une atteinte à son droit de propriété sur un immeuble, pour autant qu’il demeure possible de faire une utilisation raisonnable de l’immeuble.

Un immeuble doit être considéré comme susceptible d’une utilisation raisonnable lorsque l’atteinte au droit de propriété est justifiée dans les circonstances, ce qui doit s’évaluer dans une perspective de proportionnalité en tenant compte, entre autres, des caractéristiques de l’immeuble, des objectifs prévus dans un plan métropolitain, dans un schéma ou dans un plan d’urbanisme et de l’intérêt public.

Une atteinte au droit de propriété est réputée justifiée aux fins du deuxième alinéa lorsqu’elle résulte d’un acte qui respecte l’une ou l’autre des conditions suivantes: 

(…)

Le présent article est déclaratoire. »

L’une des particularités de ce nouvel article provient de son dernier alinéa, qui précise que « le présent article est déclaratoire ». L’impact juridique de ces quelques mots, simples en apparence, peut pourtant être significatif pour de nombreux propriétaires.

Dans un arrêt rendu le 18 juin 2024 dans l’affaire Ville de Saint-Bruno-de-Montarville c. Sommet Prestige Canada inc., 2024 QCCA 804, la Cour d’appel du Québec a eu l’occasion d’aborder le caractère déclaratoire de cette nouvelle disposition législative.

Soulignons d’abord que dans ce dossier, la Cour supérieure avait initialement conclu, dans un jugement daté du 7 mars 2023[1], que les dispositions réglementaires municipales en cause imposaient des contraintes « si graves et nombreuses » qu’elles étaient de nature à annihiler le droit de propriété des demanderesses et à ne laisser subsister aucune utilisation raisonnable de l’immeuble, le tout équivalant à une expropriation déguisée donnant ouverture au versement d’une juste indemnité.

Or, après la formation de l’appel devant la Cour d’appel, suivant l’obtention d’une permission d’en appeler, le nouvel article 245 LAU est entré en vigueur.

Au paragraphe 15 de son jugement, la Cour d’appel indique que le législateur, par les amendements législatifs adoptés en décembre 2023, a redéfini le cadre d’analyse permettant de déterminer si un immeuble est « susceptible d’une utilisation raisonnable », écartant ainsi au passage « l’interprétation des principes applicables que retenait la jurisprudence sur laquelle s’est appuyé le juge de première instance ».

Aux paragraphes suivants, la Cour d’appel explique les raisons pour lesquelles le législateur, en indiquant que l’article 245 LAU est « déclaratoire », lui a accordé une portée rétroactive, permettant ainsi au nouveau cadre juridique de s’appliquer aux instances judiciaires en cours, incluant celles faisant l’objet d’un appel.

Aucune exigence de forme n’étant requise, outre l’expression formelle par le législateur de sa volonté de conférer à une disposition législative une portée déclaratoire, la Cour conclut que le nouvel article 245 LAU « vient changer radicalement la donne en appel »[2] et que « l’interprétation à donner à cette nouvelle disposition pourrait sceller le sort du présent litige, ainsi que celui de bien d’autres recours présentement pendant [sic] devant les tribunaux »[3].

Le dossier a été retourné au juge de première instance afin qu’il détermine, à la lumière du nouveau cadre juridique, si la situation demeure assimilable à une expropriation déguisée donnant droit au paiement d’une indemnité.

Les amendements législatifs de décembre 2023 illustrent comment des dispositions à caractère déclaratoire peuvent être utilisées par le législateur afin de jouer le rôle d’un juge et dicter l’interprétation à donner à ses propres lois, même si cela a un impact sur des situations passées.

 

 

 

[1] Sommet Prestige Canada inc. c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville, 2023 QCCS 676.

[2] Par. 26.

[3] Par. 28.