Afin de bien comprendre ce qu’est la levée du voile corporatif, il faut d’abord savoir que les personnes physiques et les personnes morales ont des personnalités juridiques séparées1, et qu’elles ont donc leur propre patrimoine2.
Le principe est à l’effet que les personnes morales sont distinctes de leurs membres et que leurs actes n’engagent qu’elles-mêmes3, mais ce principe ne protège pas tous les actes qui seraient posés, par exemple, par un actionnaire de la personne morale.
En effet, l’article 317 du Code civil du Québec prévoit que « La personnalité juridique d’une personne morale ne peut être invoquée à l’encontre d’une personne de bonne foi, dès lors qu’on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l’abus de droit ou une contravention à une règle d’ordre public ». Cette disposition a pour but d’empêcher l’utilisation à mauvais escient de la personne morale par une personne qui en serait l’âme dirigeante et qui voudrait interposer l’existence de celle-ci comme un moyen de défense l’empêchant d’engager sa responsabilité personnelle4.
Qu’entend-on par fraude, abus de droit ou contravention à une règle d’ordre public ?
Lorsqu’on parle de fraude, dans cette disposition, celle-ci ne réfère pas uniquement à la fraude au sens du Code criminel, ce que la Cour d’Appel nous rappelle dans l’arrêt Mansour c. Fatihi5.
En effet, l’article 317 du Code civil du Québec fait également référence à d’autres types de fraudes, comme « la fraude paulienne », c’est-à-dire, “ l’acte accompli par un débiteur insolvable en vue de frauder ses créanciers ”, de même que la fraude civile en général, soit “ l’acte accompli de mauvaise foi avec l’intention de porter atteinte aux droits ou aux intérêts d’autrui ou d’échapper à l’application d’une loi ”6 ».
En ce qui concerne l’abus de droit, ce concept peut s’appliquer à plusieurs situations. Par exemple, dans le cas où un administrateur tenterait délibérément, lors de la conclusion d’un contrat, de dissimuler l’insolvabilité de sa société, comme il en ressort des faits de la décision GWF USA Corp. c. Vêtements Club Champion par Geky inc.7
Quant à la contravention à une règle d’ordre public, elle pourrait être invoquée, par exemple, en cas de contravention à une règlementation en matière d’environnement ou de sécurité publique8.
Il faut préciser que la levée du voile corporatif est une mesure exceptionnelle visant à protéger le public et que chaque situation s’évalue au cas par cas. Dans certaines situations, ce ne sera pas la levée du voile corporatif qui sera invoquée, mais plutôt d’autres mécanismes comme, par exemple, le recours en responsabilité extracontractuelle.