Le 24 mars dernier, l’Assemblée nationale du Québec adoptait le projet de loi 67, Loi instaurant un nouveau régime d’aménagement dans les zones inondables des lacs et des cours d’eau, octroyant temporairement aux municipalités des pouvoirs visant à répondre à certains besoins et modifiant diverses dispositions (ci-après, la « Loi »).
Une des dispositions phares de cette nouvelle loi est l’article 124, qui prescrit que les municipalités, entre autres organismes publics, doivent prévoir des mesures qui favorisent les biens et les services québécois et les fournisseurs, les assureurs et les entrepreneurs qui ont un établissement au Québec. Notons que cette disposition ne vaut que pour les contrats qui comportent une dépense inférieure au seuil décrété par le gouvernement pour les appels d’offres publics; les accords de libre-échange, notamment, empêchant les mesures protectionnistes à partir de certains seuils.
Pour ce faire, les municipalités ont dû intégrer de telles mesures à leur règlement de gestion contractuelle au plus tard le 25 juin dernier, et celles-ci doivent demeurer en vigueur pour une durée limitée de trois ans – les dispositions pertinentes de la Loi visant à favoriser la relance de l’économie post-pandémie.
Comment concilier ces nouvelles dispositions et les principes directeurs qui régissent l’octroi des contrats publics en ce qui concerne les contrats octroyés par voie d’invitation?
Il peut effectivement s’agir d’un exercice délicat. Les règlements de gestion contractuelle visent justement à éviter le favoritisme. Or, on impose maintenant aux municipalités d’ouvertement favoriser un type d’entrepreneur dans l’octroi de certains de leurs contrats. Il faudra impérativement être prudent dans l’application au quotidien de ces nouvelles mesures afin que le règlement de gestion contractuelle modifié demeure cohérent.
En effet, ces nouvelles dispositions ne sauraient permettre à une municipalité de favoriser exclusivement les entrepreneurs domiciliés ou résidant sur son territoire, l’article 124 de la loi visant clairement le Québec en entier. Ainsi, dans le cas d’un appel d’offres par voie d’invitation, une municipalité ne pourrait justifier, par le biais de ces nouvelles mesures, de n’inviter que des entrepreneurs locaux, ni contourner les règles de rotation des cocontractants. En réalité, la même marche à suivre que celle qui aurait été autrement empruntée, n’eût été l’adoption du projet de loi 67, devrait être suivie. La seule différence tangible étant l’exclusion des cocontractants étrangers de la liste d’invitation, dans la mesure où les fournisseurs québécois peuvent offrir le même service à coût et qualité comparables.
Ces nouvelles dispositions auront donc un effet davantage cosmétique que concret, puisqu’il est plutôt rare que des contrats d’une valeur inférieure au seuil décrété par le gouvernement pour les appels d’offres publics suscitent un intérêt à l’étranger. Il en va toutefois autrement pour les municipalités situées en zones frontalières, lesquelles devront mettre en œuvre les nouvelles mesures prévues à la Loi en dépit de leur réalité particulière.
Malgré leur caractère plutôt hypothétique, ces nouvelles dispositions sont néanmoins impératives. C’est pourquoi il sera important pour les municipalités de documenter les moyens mis en œuvre pour appliquer les nouvelles dispositions intégrées à leur règlement de gestion contractuelle. Cela est évidemment vrai en tout temps, mais l’est d’autant plus en raison du caractère délicat de ces mesures!
Qu’en est-il des contrats octroyés par le biais d’appels d’offres publics?
La Loi permet aux municipalités de prévoir des préférences dans leurs appels d’offres en fonction de la valeur ajoutée canadienne, aux articles 35 et suivants. Ainsi, elle modifie la Loi sur les cités et villes ainsi que le Code municipal afin de permettre cette discrimination à certaines conditions, dont voici les principales :
1° Aux fins d’un contrat de construction, d’un contrat d’approvisionnement ou d’un contrat de services qui comportent une dépense inférieure au plafond décrété par le ministre, en exigeant, sous peine de rejet de la soumission, que la totalité ou une partie des biens ou des services soient canadiens ou que la totalité ou une partie des fournisseurs ou des entrepreneurs aient un établissement au Canada;
2° Lorsqu’est utilisé un système de pondération et d’évaluation des offres, en considérant comme critère qualitatif d’évaluation la provenance canadienne d’une partie des biens, des services, des fournisseurs, des assureurs ou des entrepreneurs. Le nombre de points maximal qui peut être attribué au critère d’évaluation ne pouvant être supérieur à 10 % du nombre total des points de l’ensemble des critères.
Une municipalité peut également exiger, sous peine de rejet de la soumission, que l’ensemble des services d’ingénierie afférents à ce contrat soient assurés par des fournisseurs provenant du Canada ou du Québec.
Ce ne sont que quelques exemples de motifs de discrimination maintenant à la disposition des municipalités québécoises afin de favoriser l’achat local. Il faudra toutefois être prudent afin de concilier ces nouvelles dispositions, tant en ce qui concerne l’octroi de contrats par voie d’invitation que par le biais d’un appel d’offres public, afin d’accorder celles-ci aux principes directeurs qui régissent l’octroi de contrats publics.