L’article 1611 du Code civil du Québec prévoit, en son premier alinéa, que les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu’il subit et le gain dont il est privé. Le législateur prévoit donc une juste compensation au créancier qui s’est vu privé de la prestation d’un contrat qui l’aurait fait bénéficier d’un revenu.
Or, comment se calcule concrètement la compensation juste d’une telle perte ?
D’abord, il est utile de rappeler le principe général de juste indemnisation qui consiste à compenser le dommage subi, sans perte, ni profit pour la personne lésée.
Ceci implique que chaque cas demeure un cas d’espèce, soumis à une preuve particulière.
Or, une tendance jurisprudentielle tend à conclure qu’une perte d’entreprise doit se calculer en vertu du profit net[1] de l’entreprise, souvent évalué par des projections ainsi que la marge bénéficiaire de l’entreprise. Il faut toutefois demeurer prudent; une nuance importante existe selon laquelle, en certains cas bien précis, cette perte se calculera en vertu d’une perte de profits bruts. Dans tous les cas, les tribunaux rechercheront le manque à gagner réellement subi et justement prouvé.
En effet, dans le cadre d’un jugement important rendu sur la question en 2010 dans la cause Sealrez inc. c. Luxwood Auto Triminc.,[2] la Cour d’appel du Québec nous enseigne que la règle habituelle d’établissement des dommages se fait à partir des profits nets d’une entreprise et non de profits bruts. La Cour précise cependant qu’une preuve suffisamment convaincante peut permettre à une entreprise d’être indemnisée pour la perte de profits bruts.
La Cour d’appel précise qu’une telle preuve sera plus facilement établie dans le cas d’un contrat dit isolé.
Pensons donc à une entreprise qui fabrique et vend un produit à une entreprise qui l’utilise pour la confection d’un produit final. Advenant que le produit fabriqué et vendu par la première entreprise soit défectueux, son cocontractant, perdant ainsi des ventes, pourra lui réclamer les profits nets qu’elle aurait touchés. Effectivement, les tribunaux se baseront sur les expertises comptables, lesquelles seront basées sur des projections de ventes et sur sa marge bénéficiaire, faute d’une autre preuve suffisamment convaincante.
Par opposition, le bris d’un contrat de distribution de longue durée entre deux entreprises pourrait se voir bénéficier de la méthode de calcul d’une perte de profits bruts, évidemment appuyée d’une preuve que le tribunal devra juger suffisamment convaincante.
Dans l’affaire Leetwo Metalinc. c. Air Liquide Canada inc. 2007 (QC CA), les tribunaux ont appliqué l’article 1611 du Code civil du Québec pour calculer la perte réellement subie en matière de non-respect d’un contrat. La Cour d’appel rappelle d’abord que la méthode de calcul qui doit être utilisée pour déterminer le gain dont l’entreprise a été privée doit tenir compte des conditions de réalisation du contrat et être basée sur des données fiables. Ainsi donc, une perte de profits basée sur des projections n’est effectivement pas toujours la méthode de calcul la plus fiable et réaliste.
Pour reprendre les termes de la Cour d’appel;
« [69] Puisque les dommages ne sont pas indemnisables à moins d’être directs et certains, le tribunal estime qu’il faut évaluer les dommages en fonction de la consommation réelle de Leetwo, de 2000 à 2004 plutôt que de faire des projections sur les résultats de 1999. »
Nos soulignés.
Ceci dit, cette façon de calculer les dommages en matière de bris contractuel a été reprise, notamment, dans l’affaire Novo Pharmjt. c. Promotions Nord-Sud inc.[3]. La Cour rappelle que pour évaluer le gain dont le créancier a été privé durant une période déterminée, les tribunaux se basent sur les chiffres du contrat et sur la preuve d’expertise fournis par les parties lorsque cette dernière repose sur des données fiables, pertinentes et concluantes.
Effectivement, les tribunaux, dans l’application de l’article 1611 du Code civil du Québec, préfèrent se baser sur une preuve fiable, pertinente et concluante, prouvant ainsi la perte réelle et ce, plutôt que de se fier sur des projections basées sur des méthodes de comptabilité internes.
À ce sujet, la Cour d’appel stipule que « La méthode de comptabilité employée par une entreprise ne peut être source de droit contre un tiers. La méthode de comptabilité de l’entreprise réclamante, ou l’absence même de comptabilité, ne change rien à la nature de la preuve à apporter pour établir ce gain perdu au cas de bris de contrat par un client.[4] »
Ainsi, dans un cas où une entreprise pourra démontrer à l’appréciation du tribunal qu’un certain contrat, ou un volume d’achat ne lui entrainerait pas de dépenses additionnelles ou lui permettrait même des économies d’échelle, alors la perte subie pourra être évaluée selon le profit brut ou la valeur spécifique du contrat perdu. Le tribunal considérera même les escomptes que consentirait la partie lésée à ses clients pour établir sa réelle perte.
Bref, il est clair que le législateur prévoit, par l’article 1611 du Code civil du Québec, qu’une perte doit se calculer de façon réelle et directe et ce, selon une preuve suffisamment convaincante. Le droit à des dommages-intérêts correspond donc au montant des profits que l’entreprise aurait réalisés si elle avait pu réaliser le contrat. Bien que cette perte soit majoritairement établie en jurisprudence par la perte de profits nets, il faut garder à l’esprit que celle-ci est majoritairement retenue «à défaut de preuve contraire suffisamment convaincante » et que la loi prévoit expressément une indemnisation basée sur le gain perdu.
[1]Sealrez inc. c. Luxwood Auto Trim inc., 2010 QCCA 1227;
[2]Idem
[3] Novo Pharmjt. c. Promotions Nord-Sud inc 2008 QCCA
[4]Concreters Ready Mix Ltd c. St. Lawrence Cement Co., 1976 C.A.