Dans Municipalité de Saint-Gédéon c. Comité plage St-Jude inc., 2018 QCCA 143 (CanLII), la Cour d’appel du Québec s’est penchée sur l’exercice, par la juge de première instance, de sa discrétion pour rejeter un recours entrepris en vertu de l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (« LAU »).
Dans cette affaire, la Municipalité demandait à la Cour supérieure d’émettre une ordonnance visant à contraindre les défendeurs à procéder à l’enlèvement d’un bâtiment préfabriqué de type maison mobile qu’ils avaient installé sur un terrain de camping, suite à la démolition d’un petit chalet existant. Elle prétendait que l’implantation de ce bâtiment à un tel endroit contrevenait à la réglementation municipale.
La juge de première instance en est venue à la conclusion que la présence sur le terrain de ce qu’elle a qualifié de roulotte de parc contrevenait effectivement à la réglementation de zonage et que les défendeurs n’avaient pas rencontré leur fardeau de prouver qu’ils pouvaient bénéficier de droits acquis à son maintien.
Les défendeurs ont toutefois plaidé que les circonstances permettaient en l’espèce à la Cour d’exercer sa discrétion découlant de l’article 227 LAU afin de rejeter la demande de la Municipalité, malgré la contravention établie, ce à quoi la juge a acquiescé.
Cette dernière s’est en effet considérée justifiée d’utiliser son pouvoir discrétionnaire compte tenu des circonstances particulières et exceptionnelles de cette affaire (pour reprendre les termes de l’arrêt Chapdelaine[1]), soit notamment les suivantes :
1) Le caractère mineur des dérogations reprochées et le fait que les conclusions recherchées par la Municipalité (l’enlèvement de la roulotte) ne procureraient aucun résultat pratique ou bénéfique;
2) Le laxisme dont aurait fait preuve la Municipalité dans le passé à l’égard d’autres roulottes dérogatoires;
3) Le préjudice évalué à 20 000$ que les défendeurs subiraient en lien avec l’enlèvement de leur roulotte;
4) Le fait que le maintien de la situation dérogatoire n’irait pas à l’encontre de l’intérêt de la justice, les installations actuelles étant plus esthétiques que le petit chalet qui existait auparavant;
5) La bonne foi des défendeurs.
L’exercice de cette discrétion est au cœur du dossier analysé par la Cour d’appel.
Dans son jugement rendu le 23 janvier 2018, celle-ci rappelle d’abord que les tribunaux jouissent d’un pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner la cessation d’un usage dérogatoire en certaines circonstances, mais que celui-ci demeure « très limité » et ne doit s’exercer « que dans des circonstances exceptionnelles »[2]. Cependant, en l’absence « d’une démonstration convaincante que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de manière déraisonnable ou abusive » [3], une cour d’appel doit faire preuve de retenue.
En l’espèce, la Cour d’appel en vient à la conclusion qu’il y a lieu d’infirmer le jugement de première instance vu les diverses erreurs commises par la juge qui en affectent le caractère raisonnable.
D’abord, la violation de la réglementation ne peut être qualifiée de « peu d’importance » compte tenu de la jurisprudence qui reconnaît généralement qu’un usage dérogatoire à un règlement de zonage ne constitue pas une contravention mineure. De plus, le remède recherché, soit l’enlèvement du bâtiment plutôt que sa démolition, est proportionné à l’importance de la violation.
En outre, constitue une erreur révisable, le fait pour la juge de première instance, d’avoir pris en compte le laxisme dont aurait fait preuve la Municipalité en tolérant la présence de bâtiments similaires dans la zone. Permettre à un citoyen d’invoquer le fait que ses voisins violent aussi la réglementation empêcherait une municipalité de voir au respect de celle-ci, à moins qu’elle ne poursuive simultanément tous les contrevenants.
En ce qui concerne l’évaluation du préjudice que subiraient les défendeurs, la Cour le juge « manifestement surévalué » vu les divers éléments devant être exclus du calcul.
Finalement, la question de l’esthétique du nouveau bâtiment, par rapport à l’ancien, relève davantage de l’opportunité d’adopter certaines dispositions réglementaires, domaine réservé au conseil municipal.
L’intérêt de la justice commande, en l’espèce, que des dispositions claires adoptées pour le bien de la collectivité soient appliquées et respectées.
La bonne foi des défendeurs est certes reconnue par la Cour, mais elle ne suffit pas, à elle seule, pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire découlant de l’article 227 LAU.
[1] Ville de Montréal c. Chapdelaine, 2003 CanLII 28303 (QC CA)[2] Voir le paragraphe 4.
[3] Voir le paragraphe 5.