En 2016, le ministère des Affaires municipales publiait son Plan d’action gouvernemental pour alléger le fardeau administratif des municipalités, dont une des mesures proposées était d’« Harmoniser et hausser les seuils d’autorisation des contrats de gré à gré en matière d’approvisionnement, de services professionnels et de travaux de construction à 100 000 $ pour les municipalités qui se sont dotées d’une politique de gestion contractuelle. »
En résumé, le gouvernement proposait aux municipalités, qui pouvaient déjà adjuger des contrats de gré à gré aux cocontractants de leur choix pour des contrats dont la valeur est inférieure à 25 000 $, de pouvoir hausser cette limite à 100 000 $.
Le ministère jugeait que ce seuil de 25 000 $, en vigueur depuis 2001, était anachronique et générateur de formalités dont les coûts surpassaient parfois les bénéfices. D’ailleurs, le seuil était déjà de 100 000 $ pour tout type de contrat pour les organismes du réseau de la santé et de l’éducation, comme les commissions scolaires.
Le projet de Loi 122, adopté le 15 juin 2016, modifiait effectivement (entre autres) le Code municipal et la Loi sur les cités et villes afin de permettre la hausse de ce seuil. Cependant, la Loi prévoit des conditions à cette hausse, dont l’obligation d’ajouter, dans un Règlement de gestion contractuelle, des « mesures pour favoriser la rotation des éventuels cocontractants. » (Le Projet de Loi 155, adopté le 18 avril 2018, est venu modifier le texte de loi pour qu’on lise maintenant « favoriser la rotation » plutôt que « assurer la rotation ».)
Il faut bien comprendre la portée de cette condition : une municipalité qui veut se prévaloir de la possibilité de donner des contrats de gré à gré jusqu’à 100 000 $ doit favoriser la rotation des éventuels cocontractants.
Que veut dire, en pratique, « favoriser la rotation des éventuels cocontractants » ? De quel genre de rotation parle-t-on ? Doit-on distribuer les contrats à tour de rôle, ou selon la valeur de ceux-ci ? Et qui sont ces cocontractants éventuels ? Doit-on deviner qui pourrait être intéressé à de tels contrats et s’assurer qu’ils en obtiennent de temps en temps, ou faut-il faire un appel de candidatures avant de choisir de gré à gré ? Quels seraient les recours possibles d’un éventuel cocontractant s’il se sentait lésé ?
C’est peut-être parce que le concept est tellement vague que le ministère a cru bon de publier un Guide sur les modes de passation des contrats municipaux dont la dépense est de moins de 100 000 $ et où l’on propose notamment d’établir des listes par catégories, de procéder périodiquement par appel d’offres ou appel d’intérêts pour connaître les entreprises intéressées, limiter le nombre de contrats attribués à un cocontractant, et possiblement de discriminer les cocontractants selon leur région géographique d’origine.
Considérant qu’aujourd’hui, une municipalité peut donner un contrat au cocontractant de son choix en autant qu’elle demande des soumissions écrites à au moins deux soumissionnaires, comment ces nouvelles règles permettent-elles d’éviter des « formalités dont les coûts surpassent parfois les bénéfices » ? Elles créent plutôt de l’incertitude quant à la gestion de ce programme de « rotation », pavent la voie à des nouvelles contestations judiciaires, et peuvent alourdir considérablement le travail des fonctionnaires et des élus.
Si l’intention première du ministère était de donner une plus grande marge de manœuvre aux municipalités quant à l’octroi de contrats de gré à gré, il semble qu’il ait raté la cible. Peut-être le gouvernement a-t-il au final eu peur de scandales, possibles ou imaginés, qui pourraient découler de cette hausse si elle n’était pas rigidement balisée ?
Ceci dit, puisqu’elles peuvent continuer à utiliser le processus d’appel d’offres par invitation pour les contrats de moins de 100 000 $, le projet de Loi 122 n’enlève rien aux municipalités. Il appartiendra à chacune d’elles de déterminer, pour ses besoins propres et selon la volonté de leurs élus, de choisir la façon qui leur convient le mieux.