Le 15 février dernier, la Cour Suprême s’est prononcée sur la question suivante: les donneurs d’ouvrage et les entrepreneurs ont-ils l’obligation de divulguer l’existence d’un cautionnement aux réclamants potentiels? L’affaire Valard Construction Ltd c. Bird Construction Company répond positivement dans les provinces du reste du Canada et trouvera assurément écho au Québec[1].
Dans l’industrie de la construction, les donneurs d’ouvrage ou les entrepreneurs généraux exigent parfois que leur cocontractant fournisse un cautionnement pour gages, matériaux et services afin de garantir que toutes les créances dues aux ouvriers, fournisseurs de matériaux et sous-traitants (ci-après les sous-traitants) soient acquittées. Cette obligation a aussi pour but d’éviter la publication d’hypothèque légale ou l’abandon du chantier par un ou des sous-traitants et les difficultés liées à un abandon. En vertu du contrat de cautionnement, la caution deviendra responsable du défaut de paiement de l’entrepreneur général aux sous-traitants. La personne qui souscrit au cautionnement le détiendra en sa qualité de fiduciaire au bénéfice des sous-traitants.
Jusqu’à ce que la décision de la Cour Suprême soit rendue, rien n’obligeait les donneurs d’ouvrages et entrepreneurs québécois à divulguer aux sous-traitants l’existence d’un cautionnement. Or, les conditions d’exercice du cautionnement sont souvent strictes et comportent des délais de déchéance du droit de réclamer les montants impayés pour matériaux et/ou travaux exécutés. À titre d’exemple, une demande de paiement doit habituellement être envoyée à la caution (et, selon le cas, à l’entrepreneur général) dans les 120 jours suivant la date à laquelle le sous-traitant a terminé ses travaux ou rendu les derniers services, ce qui pose un problème évident lorsque les sous-traitants sont avisés trop tard de l’existence d’un cautionnement. En effet, il arrive trop souvent que l’avis de réclamation du sous-traitant à la caution soit tardif, ce qui permet à celle-ci de refuser de l’indemniser.
Dans le dossier étudié par la Cour Suprême, le sous-sous traitant Valard Construction Ltd. n’avait pas été avisé que l’entrepreneur général Bird Construction Compagny avec exigé de Langford Electric Ltd (laquelle avait ensuite mandaté Valard Construction Ltd) un cautionnement pour gages, matériaux et services. N’ayant pas été payée et n’ayant pas inscrit d’hypothèque légale de la construction, Valard Construction Ltd a poursuivi Langford Electric Ltd qui s’est révélée insolvable. Ce n’est qu’après avoir obtenu jugement contre Langford Electric Ltd que Valard Construction Ltd. a été informée de l’existence du cautionnement. Pourtant, plaidait-elle, il aurait été facile pour son cocontractant d’aviser tous les sous-traitants de l’existence d’un cautionnement en affichant sur la roulotte de chantier une copie de celui-ci. Cette solution, facile et peu coûteuse, aurait eu pour effet de permettre à Valard Construction Ltd. de remplir les conditions d’exercice et de dénoncer sa créance dans le délai prescrit, entre autres.
Valard Construction Ltd. a poursuivi Bird Construction Co. alléguant, inter alia, qu’elle avait une obligation positive d’information à l’égard des sous-traitants relativement au cautionnement exigé. La Cour Suprême a donné raison à cet argument. Bird Construction Co., en sa qualité de fiduciaire, détenait une information au profit des sous-traitants et avait une obligation de tenter minimalement d’aviser les sous-traitants de l’existence du cautionnement en affichant, par exemple, une copie du cautionnement sur la roulotte de chantier[2]. Évidemment, les mesures prises par le fiduciaire pour remplir son obligation d’information dépendront du contexte particulier à chaque affaire.
Cette décision a un impact majeur en droit de la construction en ce qu’elle ajoute une obligation aux donneurs d’ouvrage et aux entrepreneurs généraux qui exigent des cautionnements pour gages, matériaux et services de la part de leurs contractants d’aviser tous les réclamants potentiels (habituellement les sous-traitants) de l’existence d’un cautionnement.
Ainsi, il serait avisé, dès à présent, d’afficher une copie du cautionnement à un endroit bien en vue sur le chantier ou d’obliger contractuellement les cocontractants à fournir une copie du cautionnement à leurs sous-traitants. Les sous-traitants, quant à eux, devraient, dès leur mobilisation ou au plus tard lors de leur démobilisation, vérifier s’il existe un cautionnement.
[1] Valard Construction Ltd. c. Bird Construction Co., 2018 CSC 8 (CanLII)
[2] Idem, paragraphes 26 et 27.