Le 16 février dernier, la Cour d’appel, dans Shiller c. Bousquet, 2017 QCCA 276, a rendu un important jugement relatif à la norme d’intervention du tribunal de première instance à l’égard des décisions des fonctionnaires municipaux en matière de droits acquis. La cour d’appel y fait également quelques commentaires sur les pouvoirs des fonctionnaires municipaux en charge de la délivrance de certificats d’occupation.
Le litige opposait principalement des tenanciers de débits de boissons à d’autres tenanciers de débits de boissons ainsi qu’à la Ville de Montréal. Les premiers argumentant que les deuxièmes avaient obtenu illégalement des certificats d’occupation de la Ville de Montréal.
En première instance, les demandeurs (intimés en appel) demandaient à la Cour supérieure de déclarer illégale l’émission de certificats d’occupation par la Ville de Montréal en faveur des mis en cause (appelants en appel) en raison de l’absence de droits acquis quant à l’usage de débit de boissons alcooliques. L’honorable juge Paul Mayer, j.c.s., après une revue exhaustive de la jurisprudence et de la doctrine applicable en matière de droits acquis, donna droit aux prétentions des demandeurs en déclarant que, malgré la décision à l’effet contraire des fonctionnaires municipaux, la preuve ne démontrait pas que les défendeurs aient eu l’intention manifeste de conserver leurs droits acquis. De ce fait, le juge Mayer a déclaré que l’usage de « débit de boissons alcooliques » se retrouvant sur les divers certificats d’occupation émis depuis 2002 avait été reconnu et octroyé illégalement par la Ville de Montréal.
En appel, les appelants ainsi que la Ville de Montréal ont soutenu que « le juge de première instance a erré en droit en n’observant aucune retenue à l’égard des décisions des fonctionnaires municipaux. « [Les appelants] font valoir que, en raison de l’expertise particulière des derniers en matière de reconnaissance de droits acquis et du caractère discrétionnaire de leurs décisions, la norme de la décision raisonnable trouvait ici application et que le juge aurait dû faire preuve de déférence. »
Afin de répondre à la question de savoir si le juge de première instance devait user de retenue face aux décisions des fonctionnaires municipaux en matière de droits acquis, la Cour d’appel s’est d’abord demandé si la reconnaissance de droits acquis s’agissait d’un pouvoir lié ou plutôt d’un pouvoir discrétionnaire. Pour la Cour d’appel, malgré que la reconnaissance de droits acquis implique « un examen de la preuve et une évaluation de la force probante des éléments qui la composent » comportant un élément subjectif, il s’agit d’un pouvoir lié où la conduite du fonctionnaire municipal sera dictée par la loi en fonction de la trame factuelle établie par celui-ci. Le fonctionnaire municipal ne dispose d’aucune latitude décisionnelle, si les critères objectifs sont rencontrés, il doit émettre ou refuser d’émettre le certificat demandé. D’ailleurs, la Cour d’appel rappelle que la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme à son article 236 prévoit expressément qu’un fonctionnaire municipal ne peut autoriser un usage contraire à un règlement municipal et qu’un permis délivré à l’encontre d’un règlement municipal ne confère aucun droit à son titulaire.
Quant à l’analogie avec l’approbation d’un P.I.I.A., la Cour d’appel indique que le contrôle qualitatif dans le cadre d’un P.I.I.A. est fondamentalement différent de la mise en application des règlements d’urbanisme traditionnels.
Forte de cette détermination, la Cour d’appel indique qu’un fonctionnaire municipal ne dispose pas d’une expertise spécialisée en matière de droits acquis et qu’il doit appliquer correctement le règlement d’urbanisme. La Cour supérieure peut donc réviser toute décision qu’un fonctionnaire municipal aurait prise en matière de droits acquis s’il ne s’agit pas de la décision « correcte ». Le tribunal peut réévaluer les faits qui ont été présentés au fonctionnaire municipal ainsi que tout fait pertinent qui n’aurait d’ailleurs pas été porté à la connaissance de ce dernier lors de la demande d’émission d’un certificat d’occupation.
En conclusion, il est conseillé lors du traitement d’une demande de reconnaissance de droits acquis que le fonctionnaire municipal consigne scrupuleusement les faits et documents sur lesquels se base sa décision en les rattachant aux critères règlementaires et jurisprudentiels en matière de droits acquis. Cette détermination sera toujours sujette à révision par les tribunaux ou en fonction de faits nouveaux portés à l’attention du fonctionnaire municipal en charge.