Autrefois considérés marginaux, les tatouages sont maintenant un phénomène amplement répandu dans la société, avec lequel les employeurs doivent fréquemment composer.
Certains types d’emplois, notamment ceux du secteur public, justifient néanmoins que l’on encadre, au moyen de directives, le port des tatouages au travail. Précisons qu’un tel droit doit être exercé prudemment puisque les tribunaux reconnaissent les tatouages comme faisant partie du droit à l’image, composante du droit à la vie privée d’un individu et du droit à la liberté d’expression garantis par la Charte<1>.
Ainsi, l’employeur a intérêt à bien comprendre les limites de ses droits en cette matière afin d’éviter d’enfreindre injustement les droits et libertés de ses employés et de voir sa directive annulée.
La décision Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu et Saint-Jean-sur-Richelieu<2>, rendue à l’automne dernier par l’arbitre Me Joëlle L’Heureux, réitère les paramètres entourant le droit de l’employeur d’imposer des restrictions sur l’apparence personnelle de ses employés. Dans cette affaire, l’association syndicale contestait, par voie de grief, la validité d’une partie de la directive de l’employeur limitant le port de tatouages par les policiers. Les aspects contestés de la directive concernaient la limite imposée d’un seul tatouage de petite dimension (8 cm X 8 cm), l’interdiction d’avoir un tatouage sur la nuque, l’approbation préalable exigée pour le tatouage et le recouvrement de celui-ci lorsqu’il était non toléré.
Tant la partie syndicale que l’employeur ont tenté de démontrer, par le biais de sondages, que les tatouages étaient perçus au sein de la société de manière positive ou négative, selon le cas.
Au terme de son analyse, Me L’Heureux conclut que la directive de l’employeur contrevenait à la vie privée et à la liberté d’expression des policiers, sans que cette atteinte ne puisse être raisonnablement justifiée en fonction de l’objectif poursuivi.
Selon Me L’Heureux, l’employeur était parvenu à démontrer la présence d’un objectif légitime, soit le maintien du lien de confiance entre la population et les policiers, mais il n’avait pas prouvé la proportionnalité entre l’objectif de maintenir le lien de confiance et l’atteinte aux droits et libertés de ses employés. Estimant la directive trop large quant à sa portée et imprécise à l’égard de certains éléments, le tribunal déclara invalides la majorité des éléments contestés de la directive. Soulignons que le syndicat ne s’objectait pas, dans cette affaire, à ce que les tatouages à caractère violent et associés à la criminalité soient interdits. À cet égard, l’obligation de l’employeur de couvrir les tatouages non tolérés apparaissait justifiée et minimale.
Dans le cadre de son analyse, le tribunal reprend les critères établis par le plus haut tribunal du pays permettant de justifier des mesures portant atteinte aux droits garantis par la Charte. Plus précisément, l’employeur devra d’abord démontrer la présence d’un objectif légitime à la mesure contestée, puis, la proportionnalité de cette mesure. Pour établir ce second critère, les mesures mises en place devront avoir un lien rationnel avec l’objectif visé, être le moins attentatoires possibles et proportionnelles avec l’objectif que l’on veut atteindre<3>.
Par ailleurs, la simple évaluation subjective d’un représentant de l’employeur ne sera pas suffisante pour démontrer le lien rationnel entre les mesures attentatoires et l’objectif poursuivi. Dans ce contexte, le recours à des sondages peut s’avérer utile, dans la mesure où l’on parvient à éviter toute ambigüité et subjectivité, contrairement aux sondages réalisés dans cette affaire, qui, de l’avis de Me L’Heureux, ne permettaient pas de conclure objectivement à une perte de confiance du public.
Ainsi, tout employeur devrait soigneusement analyser les restrictions qu’il souhaite imposer aux droits de ses employés avant de rédiger une politique sur la base de perceptions subjectives ne satisfaisant pas aux critères exigeants établis par les tribunaux. Les motifs de refus de la politique doivent être clairs et non arbitraires.
En regard de ce qui précède, les employeurs dont l’organisation justifie la mise en œuvre d’une politique visant à encadrer les tatouages, tels que les municipalités, devront être attentifs aux mesures qu’ils souhaitent imposer, puisque la subjectivité et la déraisonnabilité de celles-ci pourraient éventuellement faire invalider leur politique.
<1> Art. 3 et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne, c. C-12 (ci-après la « Charte ».
<2> Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu et Saint-Jean-sur-Richelieu, 2016 CanLII 64000 (T.A.).
<3> R. c. Oakes, [1986] R.C.S. 103 ; supra Fraternité des policiers, au para. 65.
Cet article a également été publié sur le site de Québec Municipal.