Vous vous rappelez de cette histoire, au printemps dernier, du jeune homme ayant fait des commentaires grossiers à une journaliste de la CBC alors qu’elle était en ondes ? Et, plus récemment encore, de celle de l’animateur de radio Jeff Fillion, qui a publié, sur son compte Twitter, des propos jugés méprisants à l’égard d’Alexandre Taillefer ? Si ces deux hommes se considéraient rigolos sur le coup, croyant leurs « blagues » respectives sans grandes conséquences, ils ont dû réagir autrement en apprenant qu’il en était tout autre du côté de leurs employeurs, lesquels ont, de part et d’autre, considéré que la conduite de leurs employés était en contravention directe avec le code d’éthique de leurs entreprises et méritait une sanction. Ainsi, dans les deux cas, les employés ont été congédiés<1>.
Ces évènements médiatisés, ayant soulevé pour un temps l’indignation publique, illustrent néanmoins que les employés peuvent avoir à répondre de leur comportement auprès de leur employeur, et ce, même lorsqu’il s’agit de gestes commis à l’intérieur des sphères de leur vie privée. En effet, en certaines circonstances, un employeur pourra être justifié d’intervenir auprès d’un employé en raison de gestes commis à l’extérieur du travail, particulièrement lorsque, par ses actions, celui-ci s’est placé dans une situation incompatible avec ses fonctions, rompant ainsi le lien de confiance nécessaire au maintien de son emploi.
C’est d’ailleurs ce que confirme la Cour d’appel dans l’arrêt récent Ville de Sherbrooke c. Syndicat des fonctionnaires municipaux et professionnels de la Ville de Sherbrooke (cols blancs) (FISA)<2>.
Cette affaire débute lorsque la salariée, occupant depuis peu le poste de secrétaire-réceptionniste au cabinet du maire de la Ville, est arrêtée par la police et inculpée, avec son conjoint, de production de cannabis ainsi que de possession de cannabis dans le but d’en faire le trafic. La Ville suspend la salariée, administrativement et avec solde, et entreprend sa propre enquête relativement aux accusations déposées. Au terme de son enquête, et sans attendre l’issue des procédures criminelles, la Ville congédie la salariée, considérant que par ses actions, elle a gravement manqué à ses obligations d’honnêteté et d’intégrité, entraînant ainsi la rupture irrémédiable du lien de confiance. Quelques mois après son congédiement, elle est acquittée des accusations criminelles qui pesaient contre elle.
Le grief déposé à l’encontre de son congédiement sera d’abord rejeté par l’arbitre, lequel considère que le manquement au devoir de loyauté de la salariée était suffisamment important pour justifier la fin d’emploi, d’autant plus que celle-ci avait démontré une attitude désintéressée ou nonchalante lors de l’enquête de la Ville. Il tient particulièrement compte de l’incompatibilité des infractions commises par la salariée, soit, à tout le moins, d’avoir permis un trafic de stupéfiants dans sa résidence, avec ses fonctions au sein de la Ville, lesquelles commandent un haut niveau d’honnêteté et d’intégrité en raison de la confidentialité des informations auxquelles elle a accès.
Le dossier a été porté jusqu’en Cour d’appel, laquelle a confirmé la sentence arbitrale. Elle soulève néanmoins un bémol relativement à la décision de l’employeur de procéder au congédiement, estimant cette sanction « sévère ». À cet égard, elle mentionne qu’il pourrait être tentant de faire une analogie avec l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne<3> qui empêche tout employeur de refuser d’embaucher, de congédier ou d’exercer quelque mesure de représailles que ce soit à l’encontre d’un employé en raison de ses antécédents criminels, à moins qu’il n’y ait un lien entre l’emploi et le dossier criminel du salarié.
En l’espèce, aucune des parties n’ayant contesté le caractère déraisonnable ou disproportionné du congédiement, de même que la possibilité de replacer la salariée dans des fonctions moins exigeantes au sein de la Ville, la Cour ne se prononce pas sur cet aspect. Cependant, cette question laissée en suspens nous permet de croire qu’un employeur, confronté à des faits similaires, pourrait avoir à considérer replacer le ou la salarié(e) ailleurs dans son entreprise avant de pouvoir considérer la fin d’emploi.
À tout évènement, cette décision nous confirme que l’employeur n’est pas dépourvu de toute mesure à l’égard d’un employé ayant commis des gestes répréhensibles simplement parce que ces gestes n’ont pas été commis à l’intérieur du cadre de l’emploi. Le devoir d’honnêteté et de loyauté de l’employé demeure au cœur du lien de confiance qui l’unit à son employeur et ce devoir s’étend même au-delà des seules frontières du travail.
<1> Cet article ne vise pas à émettre quelque opinion ou commentaire que ce soit à l’égard de ces deux affaires, ni à se prononcer sur la validité juridique des sanctions imposées.
<2> 2016 QCCA 267.
<3> RLRQ chapitre c-12.