En théorie, le fondement même des rapports en milieu syndiqué exige que les parties ne soient tenues qu’aux dispositions prévues à la convention collective ou qui en découlent.
En pratique cependant, il arrive que la réalité au sein d’une organisation diffère des termes de la convention collective, les parties pouvant, par leur comportement, modifier, clarifier ou compléter celle-ci.
L’employeur doit donc accorder une attention particulière à son comportement et aux actes posés au sein de son organisation, tant sur le plan actif que passif, puisqu’ils peuvent affecter ses droits et obligations, allant même parfois jusqu’à accorder aux employés des droits plus avantageux que ceux négociés.
En effet, les associations syndicales n’hésitent pas à invoquer les comportements passés pour revendiquer un droit ambigu d’une convention collective ou pour contrer un droit dévolu à l’employeur.
Pratique passée et théorie de l’estoppel
À ce sujet, les tribunaux font la distinction entre deux notions : 1) la pratique passée; et 2) la théorie de l’estoppel.
La pratique passée sert comme outil d’interprétation d’une disposition ambiguë d’une convention collective. Pour constituer une telle pratique, celle-ci doit être bien établie, généralisée et observée de façon constante et consciente par les parties. Quant à la théorie de l’estoppel, elle vise à empêcher une partie d’exiger l’application d’une disposition claire d’une convention collective en raison du fait que le comportement de cette partie a fait croire à l’autre qu’elle renonçait à l’application de cette disposition. Dans ce dernier cas, il sera nécessaire de faire la démonstration d’une pratique passée dérogatoire aux termes clairs de la convention collective.
Pour illustrer cette distinction, prenons l’exemple d’un employeur qui adopte une nouvelle politique modifiant la méthode de calcul pour l’octroi d’une prime aux employés. Dans l’éventualité où la convention collective était imprécise à cet égard, le syndicat pourrait tenter de contester la validité de cette politique en invoquant une pratique passée en vertu de laquelle l’employeur a reconnu, par son comportement, que la prime doit être calculée selon la méthode antérieurement appliquée. À l’inverse, si la nouvelle politique ne faisait que reprendre les termes de la convention collective, le syndicat pourrait prétendre, sur la base de la théorie de l’estoppel, que l’employeur, par son comportement, a incité le syndicat à croire qu’il renonçait à son droit d’invoquer les termes de cette disposition de la convention collective, et qu’il ne peut, par conséquent, en exiger l’application postérieurement.
Bref, les droits de direction de l’employeur peuvent être considérablement limités par les habitudes affectant la réalité quotidienne de l’organisation et l’employeur doit impérativement en prendre conscience pour être en mesure de rétablir la situation.
Dénonciation d’une pratique passée
En l’absence d’une clause spécifique dans une convention collective protégeant les droits acquis, il est normalement possible pour l’une ou l’autre des parties de remédier à une pratique passée en dénonçant à l’autre partie son intention d’y mettre fin. Cette dénonciation doit être claire, sans ambiguïté et définitive. De plus, elle doit être faite à un moment opportun, puisqu’on ne peut mettre fin à une telle pratique du jour au lendemain. Les tribunaux reconnaissent habituellement que la négociation d’une nouvelle convention collective constitue le moment opportun pour dénoncer la fin d’une pratique passée, laissant à l’autre partie la possibilité d’obtenir un compromis ou des concessions. Il faudra toutefois minimalement attendre l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective pour conclure à la disparition de la pratique dénoncée.[1]
Soulignons en terminant que les négociations qui ont lieu présentement dans le secteur municipal à la suite de l’adoption de la Loi 15[2] s’avèrent un moment fort propice pour revoir, s’il y a lieu, l’ensemble de vos pratiques ou habitudes et dénoncer celles qui importunent votre organisation.
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[1] Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 23 c. Spruce Falls inc., division Panneaux Tembec OSB, 2007 CanLII 59889, para. 64 et 67 (T.A.); [2] Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal, RLRQ, c. S-2.1.1.Cet article a été publié sur le site Québec Municipal le 2 novembre 2015.