Le 4 juin 2009, entrait en vigueur la Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics.
Bien que le titre de cette Loi porte à croire que son objectif est la répression d’une utilisation abusive des tribunaux afin de favoriser la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics1, une revue de son préambule dénote que les objectifs visés sont beaucoup plus larges que ne laissent entrevoir son titre.
En effet, le préambule de la Loi contient les considérants qui suivent :
CONSIDÉRANT l’importance de favoriser le respect de la liberté d’expression consacrée dans la Charte des droits et libertés de la personne ;
CONSIDÉRANT l’importance de prévenir l’utilisation abusive des tribunaux, notamment pour empêcher qu’ils ne soient utilisés pour limiter le droit des citoyens de participer à des débats publics;
CONSIDÉRANT l’importance de favoriser l’accès à la justice pour tous les citoyens et de veiller à favoriser un meilleur équilibre dans les forces économiques des parties à une action en justice2; (emphase de l’auteure)
À la lumière de ces considérants, l’on constate que les objectifs poursuivis par le Législateur par l’adoption de cette loi sont triples, à savoir :
- Favoriser le respect de la liberté d’expression;
- Prévenir l’utilisation abusive des tribunaux;
- Favoriser l’accès à la justice pour tous les citoyens et veiller à favoriser un meilleur équilibre dans les forces économiques des parties à une action en justice;
Cette Loi a introduit, aux articles 54.1 à 54.6 du Code de procédure civile, de nouvelles dispositions concernant les sanctions que peuvent imposer les Tribunaux lorsque confrontés à des procédures abusives ou en apparence abusives
Le présent texte se veut une réflexion sur les dispositions retrouvées aux articles 54.1 CPC et 54.6 CPC, et les sanctions auxquelles s’exposent tout dirigeant ou administrateur (d’une personne morale ou du bien d’autrui) s’il est conclu qu’une demande en justice ou un acte de procédure est abusif.
L’article 54.1 C.P.C. est ainsi libellé :
« 54.1 : Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d’office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.
L’abus peut résulter d’une demande en justice ou d’un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l’utilisation de la procédure de minière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics. »
Il suffira pour une partie d’établir sommairement que la demande en justice ou l’acte de procédure peut constituer un abus pour opérer un renversement du fardeau de preuve. La partie ayant introduit l’acte attaqué devra démontrer l’absence d’abus.
S’il est conclu à l’abus, ou apparence d’abus, le Tribunal possède un arsenal de sanctions permettant de réprimer l’acteur fautif. Lorsque l’abus est le fait d’une personne morale, le Tribunal pourra sanctionner personnellement l’administrateur ou ses dirigeants pour cet abus :
L’article 54.6 C.P.C. prévoit :
« 54.6 : Lorsque l’abus est le fait d’une personne morale ou d’une personne qui agit en qualité d’administrateur du bien d’autrui, les administrateurs et les dirigeants de la personne morale qui ont participé à la décision ou l’administrateur du bien d’autrui peuvent être condamnés personnellement au paiement des dommages-intérêts. »
L’on constate dès lors que l’administrateur d’une personne morale, ses dirigeants ainsi que l’administrateur du bien d’autrui peuvent être personnellement tenus au paiement des dommages et intérêts, si le Tribunal conclut que la demande en justice, ou la procédure est abusive.
Ce régime de responsabilité s’ajoute aux autres régimes retrouvés au Code civil du Québec, concernant la responsabilité des administrateurs de personne morale3.
Vu cette responsabilité potentielle des administrateurs et/ou dirigeants d’une personne morale, nous sommes d’avis que ceux-ci devront avoir un rôle très actif, lors des litiges impliquant la personne morale qu’ils dirigent, afin d’éviter une éventuelle condamnation au paiement des dommages et intérêts, si la procédure est qualifiée d’abusive.
En fait, les propos de Madame Weil au sujet de l’ajout de cette responsabilité des dirigeants en dit long sur l’intention manifeste du Législateur de vouloir imposer un rôle beaucoup plus « proactif » aux dirigeants et administrateurs d’entreprises impliqués dans un litige, en demande ou en défense.
Mme Weil : « (…) il y aura des comités, par exemple des comités juridiques, qui devront maintenant… avant qu’une procédure soit entreprise, qu’il y a évaluation qui serait faite, (…) je donne un exemple, ce comité qui serait un comité sous l’autorité du conseil d’administration, qui devra faire une recommandation. Et ce sera l’administrateur ou le dirigeant qui serait tenu responsable, (…) qui aurait vraiment participé à la décision. Donc, c’est vraiment un élément de dissuasion, et de faire en sorte qu’avant que des parties entreprennent ces genres de procédures on y réfléchit beaucoup et souvent, puis qu’on comprenne bien la nature (…) de la procédure. (…) c’est une disposition qu’on ne retrouve pas ailleurs dans d’autres projets de loi, mais ça vient, (…) ça rajoute un élément d’éducation, sensibilisation, dissuasion. » 4
La question qui vient naturellement à l’esprit de tout administrateur ou dirigeant d’une personne morale, après lecture de ces dispositions est la suivante : Qu’est-ce qui devra être fait afin d’éviter une éventuelle condamnation personnelle, suite au dépôt d’une demande en justice ou d’un acte de procédure et comment puis-je m’assurer que cette procédure ne sera pas qualifiée d’abusive?
En sus bien entendu de revoir la police d’assurance responsabilité, puisque règle générale, un acte abusif pourrait faire partie des dénis de couverture5, nous sommes d’avis que l’administrateur ou le dirigeant prudent et raisonnable verra bien évidemment à mettre sur pied un comité, à même son contentieux, ou pour les personnes morales qui n’ont point de contentieux, un comité responsable de revoir tout acte de procédure avant bien entendu d’en approuver le dépôt.
Ce même comité devra, selon nous, solliciter de ses procureurs une opinion sur la qualité du recours avant de l’introduire, car rappelons-le, l’abus ou l’apparence d’abus peut donner ouverture à condamnation personnelle.
Ainsi, à bons entendeurs Salut! Et surtout, Gare aux abus.
1 Ce genre de loi est également connue comme visant à réprimer les poursuites baillons, connues sous l’épellation anglaise de SLAPP, (Strategic Lawsuit against Public Participation).
2 Selon l’auteur Pierre-André Côté dans Interprétation des lois, 4ième édition, Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 72, « Lorsque le législateur incorpore un préambule dans la loi, le texte du préambule est réputé en faire partie et peut donc servir « à en expliquer l’objet et la portée ».
3 Voir le régime de la responsabilité des administrateurs et des dirigeants établis par les articles 316 et 317 du Code civil du Québec, qui stipulent que : « (…) en cas de fraude à l’égard de la personne morale, ou au cas ou la personne morale est utilisée pour masquer une fraude, l’abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l’ordre public, à l’encontre d’une personne de bonne foi. »
4 Québec. Assemblée nationale. Journal des débats, 1ère session, 39e législateur, pages :62 et 64.
5 L’auteure n’a pas l’intention de traiter de cet aspect dans le cadre du présent texte. Cependant, considérant généralement les exclusions que peuvent contenir les polices d’assurance responsabilité, les dirigeants d’entreprises seraient fort prévoyants de vérifier la police d’assurance responsabilité et de questionner le cas échéant, leurs conseillers en cette matière.