L’arène de la politique municipale est devenue un terrain propice aux débats musclés, aux échanges d’insultes et à des confrontations verbales acerbes. Les recours ont augmenté depuis quelques années dans ce domaine et ils touchent tout autant les élus que les journalistes chargés de couvrir la scène municipale.
Le but de notre article est de simplement survoler, d’une manière générale, les règles importantes retenues dans les jugements de nos tribunaux afin de comprendre sommairement ce que constitue une diffamation.
Rôle essentiel des élus municipaux
Dans leurs jugements, les cours insistent souvent sur le rôle essentiel des élus municipaux dans le régime municipal. Ils sont les représentants élus des citoyens. Leur rôle consiste à questionner les projets, à présenter des points de vue différents, à donner une voie aux plaintes de leurs électeurs et à informer ceux-ci des gestes et des intentions de l’administration municipale. Leur droit de parole est donc considéré comme précieux et le limiter aurait des conséquences négatives sur la vie démocratique municipale. Cependant, aussi important soit-il, ce droit ne doit pas enfreindre le droit des tiers à leur bonne réputation.
Les élus municipaux doivent donc respecter certaines règles lorsqu’ils interviennent publiquement, plus précisément, lorsqu’ils parlent négativement d’un tiers que ce soit directement ou indirectement. Ils doivent agir raisonnablement, faire preuve de bonne foi dans leurs propos et s’assurer que les faits sur lesquels ils s’appuient sont vrais et exacts. Ce sont là des obligations qui limitent les droits des élus municipaux.
L’immunité relative
Les élus municipaux ne bénéficient pas de l’immunité parlementaire dont jouissent les députés provinciaux et fédéraux. Ils jouissent cependant de ce que les tribunaux qualifient « d’immunité relative » à la condition que leurs propos ne soient pas malintentionnés et que leur volonté n’ait pas pour but de nuire. Le contexte des paroles ou des écrits reprochés tient donc compte des responsabilités et des devoirs des élus municipaux. Lorsque le commentaire est loyal, honnête et fait de bonne foi, ils n’encourent pas de responsabilité. Les tribunaux admettent les critiques dures et les désaccords musclés. Ils permettent que les élus fassent valoir des opinions divergentes sur les sujets d’intérêt public.
Les élus ne peuvent cependant pas invoquer l’immunité relative, ni l’intérêt public lorsqu’ils portent atteinte à la réputation d’un tiers par des propos offensants et sans relation avec la chose publique. Il ne s’agit alors plus d’un commentaire loyal. Pour bénéficier de la défense d’intérêt public et de commentaire loyal et honnête, les élus poursuivis devront entre autres et surtout démontrer l’existence réelle de l’intérêt public de leur intervention, leur intention honnête et la véracité des faits sur lesquels ils appuient leurs propos.
Fondements du recours en diffamation
En droit québécois, le recours en diffamation est fondé sur l’article 1457 C.c.Q., soit l’article qui détermine la responsabilité d’une manière générale. Pour réussir un tel recours, la personne qui est l’objet de la diffamation doit faire la preuve d’un préjudice (dommages), d’une faute et démontrer une relation de cause à effet entre le préjudice et la faute.
Pour réussir, le demandeur doit, selon la Cour suprême, démontrer que les paroles litigieuses sont diffamatoires, c’est-à-dire qu’il a été la victime de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime de quelqu’un ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables.
La Cour suprême a déterminé que la nature diffamatoire des propos reprochés s’analyse objectivement à la manière d’une personne ordinaire qui entendrait ces mêmes propos litigieux et qui conclurait que la réputation de la personne offensée a été ou non discréditée.
Ce qu’est la diffamation
En droit civil québécois, la diffamation est définie comme une atteinte fautive à la réputation, à l’honneur et au respect d’une personne, que ce soit verbalement ou par écrit, en public ou en privé.
L’atteinte fautive peut se présenter de plusieurs façons, que ce soit par la démesure des paroles ou des écrits, par les insinuations ou les faussetés, par les allégations incomplètes ou par ce qui porte au mépris et à la réprobation publique.
La responsabilité survient lorsqu’une personne prononce à l’égard d’un tiers des affirmations qu’elle sait fausses ou qu’elle devrait savoir fausses. Cette responsabilité naît également lorsqu’une personne, sans motif raisonnable, énonce des paroles péjoratives, mais vraies à l’égard d’un tiers. Ainsi, la communication d’une vérité peut entraîner une faute et, de la même manière, l’énoncé d’une information fausse n’est pas nécessairement jugé comme fautif.
Les dommages
Une fois la responsabilité établie, les tribunaux évalueront le dommage en fonction de nombreux critères fondés sur les circonstances et les faits précis entourant la diffamation. Dans l’octroi des dommages, les tribunaux tiennent compte de l’importance et de la gravité des propos, de leur diffusion dans les médias et des conséquences financières et psychologiques que la diffamation a eues sur la victime. Les circonstances générales, telles que la réputation du plaignant et son attitude, voire sa contribution au préjudice subi, peuvent également entrer en ligne de compte.
Bien que les sommes accordées aux demandeurs aient récemment augmenté, les tribunaux québécois font preuve de retenue dans l’octroi de dommages sauf lorsque le responsable a démontré une attitude cavalière, intentionnelle et non repentante.
Lorsque des dommages exemplaires sont réclamés, les tribunaux tiennent compte de nombreux critères, dont : les capacités financières de l’auteur du libelle, son intention réelle d’atteindre à la réputation de la victime, son entêtement à répéter ou à confirmer ses propos et, s’il y a lieu, ses excuses et ses rétractations authentiques. La personne victime du libelle aura, quant à elle, à prouver sa bonne réputation, son cheminement professionnel exemplaire, ses dommages financiers et les conséquences psychologiques négatives qu’ont eues les propos diffamatoires.
Hormis certains jugements qui relatent des propos réellement excessifs à l’égard de personnalités bien en vue et de bonne réputation, les tribunaux accordent aux victimes des dommages intérêts qui sont relativement modestes. Dès lors, les coûts importants de ces poursuites, le long et difficile parcours des parties pour la préparation du procès et de l’audition, rendent ces aventures extrêmement pénibles et difficiles pour toutes les parties en cause. Avis aux intervenants au ton et au verbe offensants ainsi qu’aux victimes facilement offensées.