Avant tout, quel est le montant de ces amendes ?
C’est la Loi sur le bâtiment 1 qui prévoit les amendes applicables à un entrepreneur qui effectue ou fait effectuer des travaux sans détenir la licence appropriée.
Voici un résumé des principales amendes appliquées :
Entrepreneur, personne physique (ou compagnie enregistrée), n’ayant pas de licence ou utilisant les services d’une autre personne qui n’a pas de licence |
11 461 $ à 85 945 $ |
Entrepreneur, personne morale (compagnie incorporée), n’ayant pas de licence ou utilisant les services d’une autre personne qui n’a pas de licence |
34 378 $ à 171 889 $ |
Entrepreneur, personne physique (ou compagnie enregistrée), n’ayant pas la catégorie ou sous-catégorie de licence appropriée ou utilisant les services d’une autre personne qui ne détient pas la catégorie ou sous-catégorie de licence appropriée |
5 730 $ à 28 647 $ |
Entrepreneur, personne morale, n’ayant pas la catégorie ou sous-catégorie de licence appropriée ou utilisant les services d’une autre personne qui ne détient pas la catégorie ou sous-catégorie de licence appropriée |
17 189 $ à 85 945 $ |
Pour la petite histoire, avant 20112, ces amendes étaient de 710 $ à 1 420 $ pour une personne physique exerçant des travaux sans détenir la licence et de 1 420 $ à 2 839 $ dans le cas d’une personne morale, soit des amendes de 15 à 25 fois plus élevées depuis 2011 !
Depuis plusieurs années, les attaques contre les dispositions législatives prévoyant des amendes minimales se multiplient mais rares sont les jugements qui accueillent ce type de contestation.
Est-ce que les « amendes RBQ » pourraient être considérées comme des peines cruelles et inusitées et ainsi être invalidées par les tribunaux ? Peut être…
La question que les tribunaux doivent trancher est de savoir si ces peines sont ou non contraires à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la « Charte ») qui prévoit :
« Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ».
Deux affaires présentement en cours d’instance apporteront la réponse :
L’affaire « Bédard »
Monsieur Bédard s’est vu imposer l’amende minimale de 10 841 $ (montant en vigueur en 2014) pour avoir donné des instructions à un travailleur sur comment exécuter certains travaux alors qu’il ne détenait pas lui-même de licence.
Monsieur Bédard conteste la validité de l’amende qu’il juge disproportionnée notamment en raison du fait que la valeur du contrat de gestion de projet intervenu avec son client n’était que de 241,44 $.
Le 4 juillet 20173, la Cour du Québec lui donne raison et conclut que la peine imposée est cruelle et inusitée et contrevient à l’article 12 de la Charte.
Selon la juge Sylvie Marcotte, l’objectif du législateur, en imposant de telles amendes, est de contrer la criminalité et les entrepreneurs travaillant au noir. Or, elle constate que ce ne sont pas tous les entrepreneurs qui travaillent au noir et fraudent le gouvernement. Elle constate au contraire que monsieur Bédard a facturé son client et payé des taxes et que l’amende qui est lui est imposée est « une sanction à ce point excessive et exagérément disproportionnée qu’elle va à l’encontre de ce qui est acceptable eu égard aux circonstances atténuantes, à la gravité de l’infraction et à la situation du défendeur ».
Toutefois, le 19 juillet 20184, la Cour supérieure, en appel du premier jugement, renverse cette décision et considère au contraire que l’amende imposée n’est pas une peine cruelle et inusitée. Selon la Cour supérieure, la sanction monétaire imposée n’est pas contraire à la « dignité humaine » puisque notamment le contrevenant peut obtenir un délai de paiement et/ou effectuer des travaux communautaires pour acquitter son amende.
Le 23 août 20185, l’affaire a été portée devant la Cour d’appel qui devra prochainement déterminer si la peine minimale imposée à un individu effectuant des travaux sans licence est ou non une peine cruelle et inusitée contraire à la Charte.
Qu’en est-il des personnes morales ?
Dans une autre affaire, la même question se pose mais pour une personne morale cette fois.
Le 7 mars 20176, la Cour du Québec rend un jugement dans lequel elle condamne la société 9147-0732 Québec inc. à payer l’amende imposée de 30 843 $.
La défense de 9147-0732 Québec inc. alléguant que cette amende était contraire à la Charte est rejetée par la Cour du Québec qui considère que la protection de la Charte contre les peines cruelles et inusitées est offerte uniquement aux individus et ne peut être étendue aux personnes morales.
Le 13 novembre 20177, la Cour supérieure, en appel de ce premier jugement, confirme la décision rendue et conclut que les personnes morales ne peuvent pas bénéficier de la protection prévue à l’article 12 de la Charte considérant que le concept de « dignité humaine » ne vise que les personnes physiques et non les personnes morales qui ne peuvent avoir à proprement parler de « dignité ».
Cette question est soumise, le 4 mars 20198, à la Cour d’appel qui a considéré que la dignité humaine ne constituait pas un obstacle insurmontable empêchant d’étendre la protection de la Charte à une personne morale.
La Cour d’appel conclut ainsi qu’une amende pourrait être cruelle pour une personne morale notamment si elle conduisait à la faillite de la personne morale.
La Cour d’appel ne dit pas si la peine imposée à 9147-0732 Québec inc. est cruelle et inusitée, elle dit seulement que la personne morale peut invoquer cette protection tout comme une personne physique.
Il revient donc désormais au juge de paix magistrat à qui l’affaire sera retournée de décider si, en l’espèce, l’amende imposée à 9147-0732 Québec inc. est ou non contraire à la Charte.
Ces deux décisions attendues détermineront donc le sort de ces « amendes RBQ » qui pourraient éventuellement être jugées contraires à la Charte et ainsi être annulées dans bon nombre de dossiers…
Pour toute question concernant vos litiges dans le domaine de la construction, n’hésitez pas à contacter notre équipe !
1 Article 197.1 de la Loi sur le bâtiment, chapitre B-1.1
2 En 2011, c’est la Loi visant à prévenir, combattre et sanctionner certaines pratiques frauduleuses dans l’industrie de la construction et apportant d’autres modifications à la Loi sur le bâtiment qui augmente considérablement le montant des amendes.
3 Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Bédard, 2017 QCCQ 7437
4 Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Bédard, 2018 QCCS 3237
5 Bédard c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2018 QCCA 1423
6 Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 9147-0732 Québec inc., 2017 QCCQ 1632
7 9147-0732 Québec inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2017 QCCS 5240
8 9147-0732 Québec inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2019 QCCA 373